Souvenirs de (dé)fête !
Histoire de se souvenir des conséquences de la covid sur l’industrie musicale de l’Ouest, quoi de mieux que de recueillir les témoignages d’acteurs importants du booking et des programmateurs du coin : David Fourrier et Sébastien Chevrier (Directeur artistique et programmateur de la Sirène, salle de concerts de La Rochelle), Luc Gaurichon et Julia Le Groux (Caramba Culture Live).
« La covid ? J’ai tout oublié. Probablement la pire période de mon existence. On peut parler d’autre chose svp ? ». Faites l’expérience auprès de vos amis et vous constaterez une certaine tiédeur à aborder la triste période de la crise sanitaire et d’un confinement dont on vient – c’est à peine croyable -de fêter le 4ème anniversaire. La covid, c’est d’abord des souvenirs. Parfois enfouis mais qui rapidement refont surface. Des souvenirs souvent liés aux incertitudes de cette période. Quand allait-elle s’arrêter ? Quand les choses reviendraient-elles à la normale ? Et si jamais…Ne pas savoir, mais continuer à faire.
Nager dans le flou, une compétence rapidement intégrée par le monde de la musique. Luc Gaurichon se souvient : « On ne savait pas si les dates de spectacle allaient encore devoir être reportées. Nous n’avions aucune visibilité, ni en amont avec les groupes, ni en aval avec les salles qui nous accueillent. Nous avions eu peur aussi que le public ne suive plus et ne revienne pas en nombre dans les salles. Ce qui heureusement ne s’est pas produit ».
La Covid, ça n’était pas qu’une histoire de santé, mais aussi d’argent. Comment faire perdurer une activité culturelle dans un monde qui s’écroule ? Etait-il même raisonnable de s’entêter à fonctionner comme avant alors que tout semblait s’effriter ? Pas simple. A tel point que certains artistes ont purement et simplement envisagé d’arrêter leur carrière, et de repartir sur d’autres types de travail pour gagner sa croûte et se nourrir ? Sébastien Chevrier (La Sirène) se souvient : « Pour que les artistes puissent avoir un espace de travail, nous avions mis à leur disposition des locaux à La Rochelle ».
« Les » artistes, c’est parfois un peu vague. Les gros, les petits…Tous n’ont pas les reins aussi solides. Lors de la crise Covid, les artistes importants avaient pu reporter leur tournée en limitant la casse. Les plus petits, par contre, ne pouvaient plus exister aux yeux du public à cause de l’impossibilité de se produire sur scène. David Fourrier le rappelle très bien : « En tant que programmateur et diffuseur, on a cette responsabilité de veiller à préserver un équilibre entre les artistes connus et inconnus. La Sirène fait la place belle aux artistes émergents avec 80% de programmation dédiée à la découverte et 20% d’artistes “locomotive” ».
Heureusement, l’État avait alors aussi mis la main au portefeuille pour soutenir un secteur au point mort pendant la crise sanitaire faute de concerts possibles. Les membres du secteur musical le reconnaissent d’ailleurs volontiers. « Il y avait des aides de la filière via le Centre National de la Musique mais aussi des aides plus transversales comme le fond de solidarité qui a sauvé pas mal de monde. Le secteur musical avait également beaucoup recouru au dispositif de chômage partiel. En terme de soutien, je trouve ça assez remarquable de la part de la France ».
Cette solidarité en temps de crise s’était traduite entre les programmateurs et cette tendance perdure, comme le confirme Julia Le Groux, de chez Caramba : « On travaille ensemble depuis longtemps et on fait émerger des artistes grâce à cette collaboration. Il y a plusieurs artistes qui ont démarré leur carrière en commençant à la Sirène puis aux Francofolies ». Le point commun entre tous ces producteurs/programmateurs ? L’envie de mettre en valeur la musique et l’humain. Et un métier exercé avec passion, sur un mode plus artisanal qu’industriel.
Une solidarité d’autant plus nécessaire que la Covid avait également provoqué un effet non désiré dans le monde de la musique live : l’augmentation du montant des cachets des artistes. Pourtant, comme dans d’autres secteurs, les premiers temps de l’émotion sanitaire laissait quelque espoir de rebattre les cartes d’un secteur par essence très inégal, mais cela n’avait pas duré. « Pendant le premier confinement, nous avions senti que l’ensemble de la profession voulait repenser la manière de travailler. Nous avions même envisagé un système de cachets plus juste, plus moral. Mais, cette remise en question s’est vite évanouie quand la vie a repris son cours » (David Fourrier, La Sirène).
Un constat de fortes inégalités entièrement partagé par Luc Gaurichon (Caramba Live) : « L’attribution des cachets n’est pas du tout réglementée : pendant que des têtes d’affiche négocient pour obtenir un cachet de 100 000€, les petits artistes se battent pour avoir 1500€. Le fossé est gigantesque. Sur le marché de la filière, ceux qui détiennent 70% du marché, en particulier ceux en musique urbaine, ne s’adaptent pas aux conditions exceptionnelles. Au bout du compte, ce sont toujours les artistes émergents qui en pâtissent. Ça a été très compliqué pour eux de trouver où se produire pendant cette période très encombrée à cause du report des dates de stars connues ».
Par temps de croisière, la vie du secteur musical n’est pas toujours un long fleuve tranquille. Lorsque la tempête gronde – et la crise économique provoquée par la Covid fut un ouragan – tout le monde ne reste pas sur le bastingage. Certains artistes ont plié bagage. Les salles, elles, ont survécu. A commencer par La Sirène, devenue une institution nationale dans le monde du spectacle et des concerts. Grâce à une liberté farouchement défendue et chérie par les tenanciers de l’affaire : « En ne faisant que 60 à 70 dates par an, la Sirène dispose d’une grande marge de liberté. Elle peut pleinement affirmer ses choix artistiques. On a cette chance de ne pas être dans un rapport de business à tout prix. Et avec le réseau de connaissances dont on dispose, on n’a pas de mauvaises surprises lorsqu’on choisit des artistes ».
On entend parfois de grands décideurs souligner que certains sont capables de transformer une contrainte en réelle opportunité pour transformer les choses. Le secteur musical en fait indéniablement partie.
CRÉDITS :
Interview : @ch_taker
Texte : @albert_potiron
Photo : @realkafkatamura