Entretien Sizaye

Entretien
Sizaye

Symbole et fort représentant de la scène rap niortaise depuis sa victoire au tournoi de freestyle End Of the Weak de 2018, Sizaye gagne de plus en plus en visibilité depuis. Ses textes puissants montrent la voie à une nouvelle génération de rappeurs niortais comme Luther qui a signé dans le même label que Disiz, ou encore Primo qui vient de sortir son premier album.

Ton premier souvenir de rap c’est quoi ? J’ai lu que c’est un album de Passi qui avait déclenché en toi des émotions pour ce courant artistique ?

Oui mon premier souvenir de rap c’est l’album de Passi “Les tentations”. J’étais trop petit pour assimiler les paroles, forcément, mais déjà ça me parlait rythmiquement. Et puis Doc Gynéco “1ère Consultation”, Ministère A.M.E.R, Stomy Bugsy “Mon papa à moi est un gangster » ce sont mes premiers souvenirs de rap, c’est ce qui m’a touché en premier. 

Ça ressemblait à quoi ta vie d’ado ? On est loin ou proche des clichés du gamin qui a vécu en cité ?

J’estime être issu d’un milieu ni favorisé ni défavorisé, j’ai rencontré des galères comme plein de  gens. J’ai eu une enfance heureuse, dans le sens ou j’ai manqué de rien, ma mère nous a élevé toute seule, on a toujours eu un toit, on a toujours eu à manger dans notre assiette, même si on a rencontré des grosses galères d’argent, j’ai pas à me plaindre car je pense qu’il y a pire que moi. Ce sont les valeurs que notre mère nous a transmises, d’être dans le contentement. 

J’ai été bluffé par ta victoire au End Of the Weak en 2018 à Paris, et par cette décontraction déconcertante.

Et pourtant au moment de m’inscrire je voulais arrêter le rap! J’avais le sentiment de fournir des efforts et de ne pas être récompensé. J’allais en studio d’enregistrement, je dépensais énormément d’argent, j’enregistrais chez Gabriel Closier à Niort avenue de la Venise Verte, c’était le seul studio avec un minimum de qualité mais, les résultats ne correspondaient pas à la hauteur de mes attentes. J’ai vu que Hip Opsession organisait un évènement le End Of the Weak que  je connaissais déjà un petit peu. Je me suis dis qu’il fallait tenter le coup. J’ai pris un covoiturage pour monter à Nantes et je suis arrivé en tant qu’outsider, j’étais nouveau, je connaissais à peine les règles. Je savais que c’était essentiellement basé sur l’impro, mais je n’en savais pas plus…

Comment aborde t-on ce genre d’exercice de free style ?

En toute humilité je pense que c’est un don le free style, j’ai besoin de ça en fait, c’est une drogue. Quand je marche dans la rue je rappe, les gens pensent que je parle tout seul, et ils ont raison d’ailleurs (il  rit), je m’amuse à rimer avec la couleur des voitures qui passent, le nom des rues, maintenant dans mon cerveau il y a des automatismes, j’ai toujours aimé freestyler, j’ai toujours aimé la langue française, le sens de la formule, décortiquer chaque mot, ça a nourri mon rap.

Ça t’a ouvert quelles portes cette victoire ?

J’ai rencontré beaucoup de personnes, notamment mon équipe avec qui je travaille aujourd’hui , le label indépendant Le Fil Rouge, avec qui on fait du très très bon boulot. Je sors mes EPs avec eux, on fait énormément de clips aussi. 

Que te manque-t-il aujourd’hui pour passer un palier ?

Il faut que je continue à charbonner, que les gens voient que je suis motivé et que je ne lâche pas l’affaire tout simplement. Il me faudrait sans doute une personne influente du milieu qui pourrait mettre la lumière sur  moi,  car on va pas  se mentir le talent ça ne suffit plus, il  faut que les étoiles s’alignent pour réussir. Forcément quand tu travailles, tu mets plus de chance de ton côté mais il n’y a pas que ça. 

Comment trouves tu ton inspiration?

Je l’ai trouvé dans la MJC que je fréquentais à l’adolescence. Je passais des heures là bas, j’ai eu cette chance là d’avoir un animateur, Mustapha Zelazem, initié au hip hop et à cette scène, c’est lui qui m’a permis de faire mes premiers pas, de prendre confiance en moi. Tous les jours j’écrivais, ça faisait partie intégrante de ma vie. Quand j’ai commencé à 12-13 ans , il y avait énormément de rappeurs à Niort et ces gars m’ont inspirés et après j’ai l’impression qu’ils avaient tous disparus me laissant seul sur le navire.  

Pourquoi avoir sorti “La fougue” ton dernier Ep,  en 2 parties ?

Je voulais amener une continuité, tout simplement. La fougue représente une façon d’être, un état d’esprit, je trouvais qu’il y avait une légitimité à faire durer cette œuvre dans le temps. 

Pourquoi avoir choisi le hip-hop plutôt que la littérature pour t’exprimer ?

Intéressant! Je lis beaucoup et j’ai pour projet d’écrire des livres, ça m’intéresse, j’ai même écrit des petits scénarios de film, j’adore ça. J’ai sans doute commencé  par le rap car mon environnement baignait dedans à l’époque. 

Tu as plusieurs fois dit que le hip-hop t’avait sauvé… Mais de quoi ?

J’ai besoin  de ça dans les moments où je ne me sens pas bien, tout comme dans les moments où je suis mieux. J’ai besoin de la musique, écrire c’est ma liberté, c’est mon espace, mon échappatoire, c’est ce que je kiffe vraiment faire. Je me suis posé la question plus d’une fois “Putain, si je n’avais pas ça, qu’est-ce que je ferais ?”. J’aurais mal tourné c’est certain. 

Le mot travail revient beaucoup dans tes textes. On a l’impression que rien n’a été facile pour toi …

Quand j’écris ce genre de texte ça me motive, et ça motive aussi les gens qui m’écoutent. Je viens de Niort, ce n’est pas une excuse mais je pense qu’il faut redoubler d’efforts quand on a moins de visibilité, moins d’exposition, on doit se bouger deux fois plus.  Ma victoire au End Of the Weak résume bien ça. On a rien sans rien, le travail c’est un thème récurrent, j’ai besoin de parler de ça pour nourrir ma motivation, pour aller de l’avant, après je ne parle pas que de ça non plus, mais c’est vrai que ça revient souvent.  

Sur tes 2 derniers EP , il y a beaucoup d’orchestrations différentes, un travail de production très bien léchée, avec des prods trap, parfois des instrus surprenantes avec guitares électriques ou acoustiques , claviers. Qui t’entoure pour le côté prod et beat maker?

Pour La fougue part.2,  j’ai vraiment voulu sortir de ma zone de confort, j’ai voulu m’ouvrir musicalement, j’ai donc fait appel à des beatmakers différents. Par exemple  sur la prod de Il le Fallait , c’est un beatmaker marseillais avec qui je suis rentré en contact sur les réseaux sociaux. Dans l’équipe de mon label, il y  a un beatmaker qui s’appelle Camhill et  je voulais proposer quelque chose de nouveau avec lui. J’en suis content, mais avec le recul je sais que j’ai un style bien à moi dans lequel je souhaite revenir un peu plus car c’est ce que je sais faire de mieux. 

“J’ai toujours aimé la langue française, le sens de la formule, décortiquer chaque mot, ça a nourri mon rap.”

On est assez bluffé aussi sur l’esthétisme de tes clips et photos. Tu apportes un grand soin à l’image?

Sur l’image, c’est surtout mon équipe qui gère ça, moi j’essaie juste d’être moi même. Je me fais diriger même si bien sûr j’ai mon mot à dire,  mais je fais confiance, j’ai pas envie de jouer un rôle, ou de créer un personnage mais je veux bien sûr  quelque chose esthétiquement beau.  Après, je reste assez déçu du résultat car au vu du travail fourni et investi sur certains clips, on atteint certes un niveau de qualité très élevé mais qui ne rencontre pas assez de public car je ne brasse pas encore une large communauté. 

Où te situes-tu aujourd’hui dans la scène rap FR qui a explosé depuis 10 ans?

Justement je pense que c’est là où je pêche, ce côté marketing, com, pub qui me dépasse. Comment placer de l’argent intelligemment? Comment toucher ton audience ? Comment faire le buzz? On ne parle plus de musique mais d’image et moi j’estime que je suis bon pour faire de la musique principalement. Aujourd’hui trop de projets ont tendance à ne reposer que sur l’image et le buzz mais il semblerait que c’est ce que le public recherche… 

As-tu des artistes qui t’ont épaté ces derniers temps ?

Je pense à Alpha Wann, des gars qui savent rapper, qui savent écrire, qui sont techniques c’est ça le rap, après les goûts et les couleurs sont différents pour tout le monde et sont propres à chacun, mais en tout cas c’est le style d’artiste qui me plait.

Qu’as tu pensé de la série “Validé” ?

J’ai kiffé! Il y a des clichés bien sûr , mais je pense que les gens kiffent les clichés, il a été très intelligent Gastambide sur la série. En parlant de marketing, en voici un parfait exemple avec cette série qui a clairement été une rampe de lancement pour Hatik. C’est un bel exemple de réussite pour un gars motivé et déterminé à atteindre ses objectifs.

Ton avis sur le rap game?

C’est devenu un phénomène de mode, avec la génération “réseaux sociaux” qui s’enflamme au moindre buzz. Le rap est devenu un business qui rapporte énormément d’argent avec une diffusion digitale de la musique de plus en plus contrôlée par les artistes eux-mêmes. Les temps ont changé et l’ancienne génération hip-hop des années 2000 a eu sans doute du mal à évoluer avec ces nouvelles méthodes. 

“Putain, si je n’avais pas ça , qu’est-ce que je ferais ?”

Faut-il passer par là pour percer ?

Oui il ne faut rien lâcher ou alors faire le choix  de rester dans l’ombre toute ta vie musicalement parlant.  Le plus important est de tourner et de créer. C’est pour ça que dès que j’ai une opportunité, je fonce,  je veux gagner en visibilité, en exposition, créer un cercle de gens qui potentiellement peuvent me tirer vers le haut et me proposer des choses intéressantes. Si demain je peux mettre Niort sur la carte du rap ce serait une grande fierté car on entend parler d’artistes parisiens, d’artistes marseillais, les grosses villes, mais moi je serais tellement fier d’entendre dire “Ah ce gars là il vient de Niort il a explosé”. J’oublie pas que c’est là que j’ai commencé à écrire, même si je n’y vis plus, c’est là qu’on m’a initié à monter sur scène à l’âge de 12-13 ans.

Making of: Durée : 2h
Lieu : Hôtel Particulier la chamoiserie – @hotelparticulierniort.com
Mode : Sizaye enfile la dernière collection de @edyne_clothing, pour la séance photo
Ballon rond: Très bon joueur de foot, Sizaye a participé au championnat du monde de futsal en Italie. Crédits : 

Interview @charles.provost

Crédit photo : @realkafkatamura 

@sizaye

@lefilrougeproduction.com