Sandrine Juglair et Flamenco Queer Non mais genre !

Sandrine Juglair et Flamenco Queer
Non mais genre !

La circassienne Sandrine Juglair et la compagnie catalane Flamenco Queer étaient à l’affiche du festival niortais Panique au Dancing en octobre dernier. Occasion de les faire se rencontrer et parler de leurs créations qui questionnent avec brio identité et genre.

Une scène de Diktat, votre première création, a créé des réactions passionnées auprès du public qui vous a amené à questionner le féminin et le masculin sur DICKLOVE. Pouvez-vous nous en dire plus ? 

Diktat questionnait tout ce que nous mettons en jeu pour plaire à autrui, pour être aimé. Il y avait effectivement une scène où je me transformais en homme. Ce personnage se mouvait au gré de toutes ses possibilités lui permettant d’être aimé du public. Cette scène a suscité énormément de frustrations, de gênes. Limite, ce point de crispation est devenu le sujet central de la pièce. Cela m’a énervé (on me demandait si j’étais un homme, comment j’arrivais à me transformer ainsi) mais surtout interpellé : pourquoi on s’attache autant à vouloir identifier en termes de genre la personne en face de soi ? J’ai donc décidé de creuser ce sillon.

Dans DICKLOVE vous naviguez entre deux agrès : le mât chinois et une barre de pole dance. Deux salles, deux ambiances en somme … 

En termes de physicalité c’est pareil mais l’approche des postures est différente. Après, pas besoin d’avoir une gestuelle masculine pour l’un ou féminine pour l’autre. C’est surtout qu’en tant que circassienne, je trouvais intéressant qu’il y ait ces deux agrès. Je conçois que le mât est vraiment genré mais je ne fais aucune différence sur scène. Je joue plutôt de tous leurs codes. J’ai d’ailleurs suivi quelques cours de pole dance, pas vraiment pour en comprendre la technique mais plus pour en parler avec les femmes qui la pratique, avec les professeurs qui l’enseignent. Je voulais comprendre ce qui se jouait pour elles au-delà de la performance physique.

Les Flamenco Queer, dans Fantasia, peut-on dire que vous incarnez des personnages jouant du trouble dans le genre ?

Rubén Hera : Non, pas un personnage. Je m’y représente moi. J’exprime ce que j’ai en moi-même. Mon maquillage, mes costumes me rendent plus fort, plus sûr de ce que je vais dégager. Plus libre aussi. Je peux être en jupe, en noir, en rose … ça renforce tout ce que je veux montrer, ce soir-là, à mon public.

Jero Férec : Quand tu joues de la guitare dans le flamenco, tout est sobre, noir. Nous, nous faisons ce que nous voulons, sans limite. Vous savez, je crois que Fantasia n’est pas du tout intellectuel. Nous faisons ce spectacle pour transmettre au public ce que nous sommes, pour partager le plaisir que nous avons à faire ce type de show.

DICKLOVE est-elle une pièce politique ?

Grande question : ce n’est pas à moi de le dire mais je ne peux nier que ce sujet draine des choses de l’ordre du politique. Ce qui est sûr c’est que pour certaines personnes, notamment dans les municipalités, la pièce est rédhibitoire. Les programmateurs de théâtre municipaux, devenus trop souvent les marionnettes des élus, s’entendent très souvent dire : « Tout sauf le genre ». 

Et Fantasia serait-elle politique ?

Jero Férec : On ne le montre pas de façon systématique ou si directe. Tout ce qu’on fait c’est ce que nous ne pouvions pas faire quand on évoluait dans le flamenco traditionnel. En cela est-ce politique ? Frondeur peut-être et encore. On est juste dans cet état d’esprit : on ne peut pas le faire, alors on le fait. Mais sans pancartes revendicatives.

Ruben Héra : Vous savez quand il y a des conflits en Espagne, on préfère exprimer nos opinions sur scène. On le fait d’une manière artistique, en flamenco. 

Et comment le milieu flamenco a reçu votre show ?

Jero Férec : il faut comprendre que le flamenco possède plein de couleurs. Souvent les médias renvoient dos à dos le flamenco traditionnel et le flamenco queer. Or le second est tout aussi traditionnel … le binarisme n’existe pas ici. Nous venons du flamenco traditionnel, nous faisons du flamenco traditionnel. A Barcelone, à Madrid, il y en a pour tous les goûts. On a nos adorateurs et nos détracteurs et c’est très bien ainsi.

Nous ne sommes pas des victimes, on est sorti du milieu traditionnel pour créer notre scène queer de Barcelone. Ça fonctionne et nous sommes de vrais privilégiés. Nous avons notre propre public jeune, local, international.

Vous reconnaissez en tous les cas que vous secouez le milieu du flamenco ?

Jero Férec :  Le flamenco a une longue histoire de travestissement, de queer. C’est la musique et la danse de gens opprimés, de femmes, de gens racialisés, des pauvres. Nous ne sommes  pas dans une culture élitiste. Franco en a fait des spectacles touristiques et c’est à ce moment-là que ça devient très genré avec les femmes à froufrous et les hommes macho. Il y a un très bon livre Histoire queer du flamenco de Fernando Lopez qui raconte cette histoire cachée du flamenco. Flamenco Queer est une continuation de tout cela.

DICKLOVE est très pluridisciplinaire : danse, chant, cirque, clown, théâtre. Parlez-nous des textes de Paul B Preciado que vous y déclamez.

Mon médium est le cirque mais je n’ai jamais été une puriste. Les écoles qui m’ont formée ont toujours été ouvertes sur d’autres arts : la danse, le théâtre que j’adore pratiquer. Concernant Paul B Preciado, j’aime son écriture presque musicale. Sa terminologie – bien souvent inventée – est très imagée. Il se sert de celle du médical pour la transformer. Et forcément la transformation m’intéresse. Pour le duo DICKLOVE, Lucas Barbier et moi-même avons signé une chanson tirée des propos de Paul.

Vous avez étudié l’art du drag pour cette pièce ?

Tout à fait. Il faut savoir qu’en parallèle de ma compagnie, je suis interprète, notamment pour Julien Fanthou alias Patachtouille de chez Madame Arthur. Je travaille avec lui sur son cabaret La Métamorphose des Pédoncules. Précédemment nous avions collaboré sur un Vif du Sujet lors du Festival d’Avignon (Plastic Platon). Il m’a énormément appris sur l’art du drag. Cet univers me fascine car on y parle de créature, de monstration, d’exagération. Un vocable présent dans l’art clownesque. L’humour me parle tout comme aller chercher dans l’exagération. 

Effectivement nous rions assez souvent dans DICKLOVE

L’humour est indissociable de ma personne, de ma façon de créer. C’est le meilleur biais pour avoir un décalage et faire ressortir des choses beaucoup plus sombres. La frontière entre le rire et le drame est mince, floue et j’aime travailler sur le flou. Car DICKLOVE est une pièce hybride qui navigue entre émotion et humour. C’est ainsi que j’arrive à attraper le public : en les faisant rire mais aussi en les questionnant sur leurs souvenirs d’enfance, leurs failles, leurs blessures.

Vous rendez aussi hommage à plusieurs artistes (Bambino, Antonio Guadès, La Lupe, Lola Flores, La Paquera de Jerez). Des idoles de votre enfance ?

Ruben Héra : Possiblement oui. Ces artistes allaient contre les normes. Ils exprimaient leurs idées progressistes sous Franco. Le chanteur Bambino était ouvertement gay, il a dû cependant s’exiler en France. Sous la dictature, le flamenco était trop vindicatif pour le pouvoir en place. Tous ces artistes que vous citez, ont lutté pour exister et faire vivre cet art dans son esthétique première. On ne peut que leur rendre hommage.

Sandrine, songez-vous déjà à l’après DICKLOVE ?

Pas vraiment. J’ai la chance que la pièce tourne et je souhaite en profiter. J’ai bien des idées qui se dessinent et c’est au jeune public que je songe. L’enfance me fascine : j’ai eu une belle enfance et j’aurais adoré y rester. C’est sans doute pour cela que je joue tous les soirs, comme un enfant en fait. J’ai vraiment envie de créer pour ce public spécifique. On verra …

Et vous, vous travaillez à votre nouvelle création ?

Ruben Héra :  Nous travaillons au show qui accompagnera la sortie de notre album l’an prochain. C’est un autre concept mais nous restons dans le flamenco queer… Fantasia a été créé à l’occasion de la réouverture du cabaret El Molino de Barcelone. La pièce a beaucoup été jouée. Depuis nous avons beaucoup appris … je peux vous dire que notre projet à venir va être riche de notre expérience acquise.

Propos recueillis par Cédric Chaory.

Crédit photo : @realkafkatamura

Tournée DICKLOVE :  15 et 16 janvier La Louvière (BE) ; 19 et janvier 2024 Gand (BE) ;  24  et 25 janvier Ifs (14) ; 6 et 7 février Montbéliard (25) ; 21 et 22 février St-Barthélemy-d’Anjou (49) ; 15 et 16 mars Amiens (80)