RAVE LUCID
L’impulsion électronique
En 2015, Brandon Masele et Laura Defretin forment Mazelfreten, une compagnie de danse électro. Laura Defretin commence une carrière d’actrice et est finalement repérée dans les groupes de danse Criminalz Crew et Swaggers . Brandon Masele se donne à corps perdu dans la danse électro. Lorsque les deux se rencontrent, un syncrétisme entre le hip-hop et l’électro opère. Le duo se confie sur leurs expériences et leurs perceptions de la danse après leur passages remarqués à Niort, La Rochelle et lors de la Cérémonie d’ouverture des JO Paris 2024 avec le magnifique tableau «Obscurité »
Quels sont vos premiers souvenirs de danse communs ?
Laura Defretin : On s’est rencontrés pendant les premiers battles électro organisés par des activistes dans le milieu du hip-hop. Lors de ces événements, les danseurs hip-hop cohabitaient avec les danseurs électro.
Brandon Masele : J’ai participé à ce genre de rassemblements quand j’avais 14 ans. Je commençais la danse électro à l’époque.
“L’objectif est de faire naître un mélange entre le hip-hop et l’électro” – Brandon
Brandon comment as-tu plongé dans l’électronique? Par la tecktonik?
J’allais en club à 15 ans. À Paris, j’aimais danser à La Loco, devenue La Machine aujourd’hui. Je fréquentais aussi le Red Light et le Rex Club. La danse électro est née à Paris et s’est diffusée massivement grâce à Youtube. Dans les clubs de l’époque, tout le monde dansait l’électro. Malheureusement, le “clubbing” s’est arrêté vers 2009. Les boîtes n’assumaient plus d’accueillir des danseurs de tecktonik. Donc ceux-là se sont redirigés vers la culture underground battle.
Les années 2000 à 2010 ont été l’apogée de la musique électronique. Elle a ensuite été considérée comme “has been”. Comment avez-vous défendu ce style de danse ?
Brandon Masele : Le grand public a connu la musique électronique grâce à la commercialisation de la tecktonik. La marque proposait un look particulier, très fluo. Son rachat par TF1 a provoqué l’overdose auprès du public. Elle a fait faillite et le style de danse qui y était associé a malheureusement coulé avec. Heureusement, la première génération de danseurs hip-hop français a cru en nous. Le but de nos mentors était de faire de nous des danseurs aussi forts que les “b-boy”. Chaque mois, ils ont organisé des entraînements de danse et des chorés pour pousser notre créativité au maximum. Au bout de trois ans, la danse électro s’est métamorphosée. On est passés des mouvements très simples qu’on voyait dans les clips de tecktonik à une danse ultra-technique.

“Quand t’es foncièrement passionné par quelque chose qui a été moqué, t’as à coeur de remettre en avant sa valeur et sa force, que l’électro a par exemple”. -Laura
Pourriez-vous nous décrire l’origine de votre compagnie Mazelfreten ? On ressent cette influence entre deux mondes qui se rencontrent.
Laura Defretin : Le mariage de nos deux styles, c’est-à-dire le hip-hop et l’électro, a donné naissance à la compagnie. Je dansais sur une comédie musicale avec Brandon. Quand on dansait tous les deux, on était hyper connectés. On s’est dit “pourquoi ne pas monter un projet ensemble”. On a créé Mazelfreten, née de l’union de nos deux noms.
Vous seriez intéressés de faire des compositions pour des artistes électro et monter sur scène avec eux ?
Brandon Masele : On est très créatifs et on aime mixer. Le problème, c’est qu’on n’arrive pas à faire les choses à moitié.
Laura Defretin : Se lancer dans la musique supposerait de ne s’investir que dans ce domaine pendant plusieurs années pour créer des compositions de qualité.
Malheureusement, un artiste de musique mobilise les feux de projecteurs beaucoup plus facilement qu’un danseur. Ressentez-vous un manque de reconnaissance par rapport à ce que vous faites vous, les danseurs ? Trouvez-vous que les médias vous accordent suffisamment de visibilité ?
Laura Defretin : Je pense que c’est une question de temps pour obtenir de la visibilité. Si on prend l’exemple du hip-hop, il a pris du temps avant d’exploser. On ne se sent pas frustrés mais, on sait que la danse a tellement à donner qu’elle devrait être plus accessible à tout le monde. Je pense qu’il faut croire en son potentiel. On contacte des festivals pour commencer à essayer de sortir du cadre formel du théâtre où on se produit. On veut gagner d’autres milieux pour faire grandir notre approche artistique. On fait des scènes nationales parce qu’on est repérés par quelques personnes grâce à nos spectacles. Mais, ça reste une bulle restreinte alors que ça pourrait toucher à une plus grande échelle notamment avec les réseaux sociaux.
Comment définiriez-vous votre deuxième pièce en duo, Perception?
Brandon Masele : Elle est au carrefour de plusieurs influences musicales avec évidemment de l’électro. La chorégraphie dure trente minutes. Travailler en duo était super mais, on a eu envie pour notre prochaine pièce de s’ouvrir à d’autres danseurs.
“Quand on dansait tous les deux, on était hyper connectés. On s’est dit “pourquoi ne pas monter un projet ensemble”. On a créé Mazelfreten, née de l’union de nos deux noms.” – Laura
On sent qu’il y a une urgence criante qui s’exprime à travers vos mouvements de danse; comment vivez-vous votre danse ?
Laura Defretin : Il y a une certaine frustration d’être marqué par la tecktonik parce que l’image associée est dévalorisante. La marque a tué la danse. Quand t’es foncièrement passionné par quelque chose qui a été moqué, t’as à coeur de remettre en avant sa valeur et sa force, que l’électro a par exemple. Notre pièce Rave Lucid lui rend hommage et on sent dans le corps des interprètes le poids de cet héritage douloureux. La pièce invite à continuer de faire grandir la culture et la communauté. Je pense que le spectacle participe à déterminer le futur de cette danse.
Brandon Masele : C’est un message d’espoir. Il y a des danseurs électro qui ont commencé vers 2007, comme moi. Mais, il y aussi une génération plus récente. Cette danse perdure toujours. Finalement, tout le monde met sa pierre à l’édifice, que tu sois nouveau ou ancien dans le hip-hop.
Pouvez-vous nous parler des conditions de création de la pièce Rave Lucid ?
Brandon Masele : Il y a plus de cinquante dates pour Rave Lucid. On est contents. Pour la sélection des interprètes de Rave Lucid, on n’a pas choisi des danseurs formés au préalable. Le problème des danseurs autodidactes, c’est qu’ils apprennent sur le tas. Donc, ils ne connaissaient pas notre manière de danser avant les répétitions. En cinq sessions, c’était compliqué de leur transmettre notre pâte et nos attentes. Quand on se produit sur scène, nos danseurs ont une part de freestyle parce qu’ils ont appris à danser sans contraintes. Réussir à leur faire accepter la gestuelle sans remettre en question leur identité a été un challenge. C’est un travail faisable sur le long-terme mais, c’est plus difficile en cinq semaines. Alors que les danseurs de ballets, par exemple, sont entraînés techniquement depuis petits et sont habitués à suivre des règles très précises.

Quels sont vos projets artistiques ?
Brandon Masele : Pour l’instant, Laura forme les danseurs hip-hop et moi ceux d’électro. À l’avenir, on veut s’inspirer de l’organisation des ballets pour la formation des danseurs. On travaille déjà sur le prochain spectacle où on a envie de mettre en avant l’identité de notre compagnie. Rave Lucid nous a confiné dans la catégorie de compagnie “électro”. L’objectif de la prochaine pièce est de la dépasser pour faire naître un mélange entre le hip-hop et l’électro aux yeux du public. En tous cas, on ne veut pas se mettre de barrières.
Interview : @ch_taker
Photos : @lambert.davis