Paul Melun Penser la politique autrement

Paul Melun
Penser la politique autrement


Chroniqueur politique et essayiste, président du laboratoire d’idées « Souverains demain », le jeune trentenaire Paul Melun s’est imposé dans le paysage médiatique français par ses analyses tranchantes et son regard acéré sur les évolutions politiques contemporaines. Entretien autour d’une France en plein questionnement, entre crise des élites, besoin de renouveau démocratique et aspirations à un projet de société unificateur.

Figure montante de la scène intellectuelle française, Paul Melun n’a de cesse de questionner le modèle politique actuel. Auteur de plusieurs essais remarqués, il s’attaque à des sujets brûlants comme la crise des valeurs, la déconnexion des élites et la montée du populisme. À travers son style incisif, il défend une vision à contre-courant, où le retour à un dialogue républicain authentique et la réinvention du politique sont plus que jamais nécessaires. Dans un contexte de défiance généralisée, le chroniqueur au parfait brushing prône une refonte en profondeur des mécanismes démocratiques pour redonner du sens à l’engagement citoyen. Discussion autour d’un coca zéro.

Dissolution, longue attente estivale avant la nomination d’un premier ministre, rebelote pour nommer un gouvernement… Que vous inspire la situation politique actuelle française ?

De fait, on fait face à un vrai bouleversement politique. On est à l’aube d’une crise effectivement importante. Elle se matérialise aux élections européennes par de nouveaux rapports de force, de nouveaux équilibres.  Lors de ces élections, on a vu un score considérable pour le rassemblement national et une fragmentation du pays évidente. Il suffisait de regarder la carte de France le soir des élections pour comprendre à quel point le pays était divisé. Ce n’est d’ailleurs pas un phénomène franco-français, mais mondial ou au moins occidental. Ce qui se passe entre Trump et Kamala Harris, c’est exactement ça, une ultra-polarisation du débat où une bonne partie du peuple – notamment les classes populaires et rurales – se dit « Nous sommes les laissés pour compte du système, de la mondialisation, etc ». Il y a donc, d’une part ce besoin de justice sociale et, d’autre part, la crainte de l’insécurité culturelle avec l’immigration, l’insécurité. Et ce cocktail, qui vient déséquilibrer les choses, est à l’origine de la fin du monopole du parti socialiste et de l’UMP – ou jadis, du RPR – sur la vie politique française. Tout cela vient complètement briser les lignes, et ça permet à des mouvements comme le rassemblement national de réussir. Qui plus est, le RN s’est modernisé, a atténué certains volets de son discours. Le RN d’aujourd’hui n’est pas le FN d’hier. De la même manière, la gauche – qui est plutôt mon domaine d’expertise – est désormais plutôt encline à suivre la radicalité d’un Jean-Luc Mélenchon que la social-démocratie bon teint d’un Bernard Cazeneuve. Au milieu de ce paysage politique polarisé, on trouve le Président de la République Emmanuel Macron.

Peut-on considérer sa décision de dissoudre l’assemblée nationale comme une erreur stratégique ?

Stratégique, je ne sais pas. Mais je pense qu’il a bien fait de la convoquer. Dès qu’on redonne la parole au peuple, je suis du côté de ceux qui le font. Je pense qu’il a eu raison, et que s’il ne l’avait pas fait, on le lui aurait reproché. Cette dissolution permet de voir cette tripartisation de la vie politique entre la gauche sous la férule de Jean-Luc Mélenchon – en tout cas du nouveau front populaire, la droite – ou plutôt le bloc national avec le « Marinisme » de Marine Le Pen – forme le deuxième bloc, et finalement le bloc « du centre-gauche au centre-droit ». Et ça, c’est un nouveau paramètre. Le Président de la République n’en est pas le responsable, en tout cas pas le seul, mais maintenant il est face à ça et il doit composer avec. D’où la nomination de Michel Barnier, qui a cette vocation de permettre quand même un minimum de stabilité. Rappelons qu’il reste 10 mois avant la prochaine dissolution. Si on ne veut pas que ça soit une pagaille totale et que le pays soit « ingouverné », on est obligé d’aller vers des compromis. On passe d’un système 5ème République/Majorité/Monarchie présidentielle à une culture de coalition à laquelle nous ne sommes pas habitués. Il faut qu’on s’y habitue, et au fond, ce n’est peut-être pas si mal. En tout cas pour le moment, car ça va obliger les différentes forces en présence à travailler, texte par texte, car rien ne sera acquis, sur l’insécurité ou l’immigration par exemple. Une majorité de français souhaite moins d’insécurité, et moins d’immigration. Sur ces sujets, il peut y avoir un consensus, disons du centre-gauche jusqu’à la droite nationale. C’est le cas par exemple aux Pays-Bas, au Danemark, en Allemagne,…  

Vous citez des pays qui ont une culture de coalition plus forte que la nôtre. La France n’a pas du tout cette culture, ou presque.

C’est vrai, mais nous sommes obligés de la prendre parce que les évènements nous contraignent à l’adopter.

La question est volontairement outrancière, mais n’assiste-t-on pas au début de la fin de la 5ème République ?

Je suis un fervent défenseur de la 5ème République. Ce n’est pas elle qui est en cause. Ce qui est en cause, ce sont les désordres du monde contemporain, c’est-à-dire mondialisation, société de consommation, individualisme, flux migratoires, déséquilibres économiques, déséquilibres géopolitiques… C’est ça, le sujet. Face à tout ça, la 5ème République, elle, résiste. Regardez la 4ème, elle n’a pas fait long feu face à des problèmes graves aussi. Et la 3ème s’était soldée par le Maréchal Pétain. Même si chaque cycle a une fin, je ne pense pas que la 5ème République soit arrivée au bout de sa durée de vie. C’est le système institutionnel le mieux calibré, grâce au Général de Gaulle et à Michel Debré, pour jongler entre notre héritage de l’Ancien Régime, notre héritage bonapartiste et la passion irrépressible pour la liberté et la démocratie qui caractérise la France depuis 1789 et bien avant. Je ne suis pas un partisan de la 6ème République. Par contre, je suis un partisan de la 5ème avec plus de souveraineté populaire. Avec plus de référendums, avec des référendums locaux, avec plus de décentralisation,… Je n’aime pas la verticalité politique. Et ces adaptations peuvent très bien se faire sous la 5ème.

Si le cadre institutionnel perdure, on voit que les méthodes changent. A commencer par la façon de faire de la politique. Le clash politique s’institutionnalise, de nombreux députés sont sur Twitter ou Tik Tok. Qu’en pensez-vous ?

Le cirque qu’on a eu ces derniers mois à l’assemblée nationale avec des députés grossiers, qui parfois même insultent, est déplorable. Je rappelle quand même que le député Delogu de la France Insoumise, par exemple, a traité certains de « pourritures ». Je considère que le débat politique doit être âpre – je n’aime pas la tiédeur, je n’aime pas la fausse modération – mais il doit aussi être respectueux, construit et autant que faire se peut de bon niveau. Et là, on n’y est pas. Il y a un affaissement évident du niveau d’une partie de la classe politique et on est entré, c’est vrai, dans une culture de la comm’, de la punchline, de la petite phrase, de l’affrontement perpétuel… Je pense que c’est malsain, alors qu’on a besoin de grandes politiques structurantes, d’hommes et de femmes d’État, de respect y compris de l’opposition. La démocratie occidentale est quand même un legs extraordinaire. On ne mesure pas tous les jours la chance qu’on a de bénéficier encore de ça. Il faut s’en montrer digne. Il faut que la classe politique s’en montre digne. Ceux qui ne sont pas respectueux de tout ça portent une responsabilité dans la désaffection des gens pour les politiques. Je crois que les gens aiment les femmes et les hommes politiques qui savent se tenir. Ce n’est pas parce que vous faites du buzz que les français adhèrent à vos thèses.  

Vous êtes chroniqueur politique sur de nombreux plateaux. Que répondez-vous si je vous dis que les médias manquent également parfois de cette dignité dont vous parlez ? Depuis l’apparition des chaînes d’info en continu, on a parfois l’impression que les médias passent leur temps à commenter, analyser, surinterpréter le moindre évènement politique ou social.

Les médias ont un rôle fondamental dans la démocratie, dans l’éducation populaire, dans le débat. Et cela les oblige à un devoir de qualité, de contradictoire, de pluralisme. Après, les médias eux-mêmes sont – on ne va pas dire dépassés – remis en cause par des acteurs des médias non conventionnels, notamment numériques. On assiste à une véritable libéralisation. Un peu comme au XIXème siècle avec la libéralisation de la presse. C’est un peu comme « Les illusions perdues » de Balzac. Ou comme les radios libres dans les années 80. Il y a parfois ce type de révolution. Je ne suis pas du tout contre les réseaux sociaux, mais ces révolutions-là doivent être préparées, comprises, et on doit en faire quelque chose de bon pour l’intérêt général. Pour en revenir aux médias, n’oublions pas qu’il y a 15 ou 20 ans, il y avait beaucoup moins de chaînes de télévision, et plus de monopole de quelques médias sur le monde médiatique ou journalistique. Aujourd’hui, il y a beaucoup plus de médias.

Qu’est ce que cela change ?

La télé n’est pas morte car il y a toujours énormément de gens qui la regardent. La radio va un peu moins bien mais certaines vont bien, comme France Inter qui marche bien ou Europe 1 qui fonctionne de mieux en mieux. La presse écrite, pour sa part, doit se réadapter avec des formats web par exemple. Si tous ces médias offrent aux intervenants sur leurs antennes ou dans leurs colonnes la capacité de s’exprimer librement – et c’est le cas dans les médias avec lesquels je collabore – alors c’est aux intervenants (écrivains, journalistes, philosophes, sociologues, intellectuels) de se montrer dignes de la tribune qu’on leur offre. Que j’intervienne devant 10 personnes ou 1 million à la radio, j’ai à coeur de bien faire mon travail en préparant mon thème, en veillant à ne pas exciter les passions inutilement, en disant les choses comme je les pense et en étant droit dans mes convictions et dans mes idées. Quand les gens m’arrêtent dans la rue en me disant « Vous avez dit ça, et je ne suis pas d’accord avec vous », ça me fait aussi réfléchir. Je ne suis pas dans un monologue qui ferait abstraction du réel.

Vous êtes jeune. Vous avez commencé en passant par l’UNEF et par le parti socialiste, c’est-à-dire en étant acteur du monde politique. Pourquoi avoir basculé du côté des commentateurs de la vie politique ?

J’ai été acteur, mais à un petit niveau (Sourire). J’ai changé d’orientation tout d’abord parce que je n’ai jamais considéré que l’engagement politique soit une profession, une carrière ou quelque chose qui s’organise sur le long terme. C’est quelque chose qu’on fait parce qu’on adhère à des idées. Moi, je viens de la gauche. Quand j’étais étudiant à Sciences Po Bordeaux j’avais envie de m’engager sur des thématiques de gauche, donc j’avais choisi l’UNEF. Il faut dire que je venais d’une famille de gauche, et que j’avais une lecture de la société issue des concepts classiques de la gauche. J’aimais bien la gauche quand elle était en mesure de gouverner, et pas quand elle est dans l’opposition stérile. Après, j’ai constaté de l’intérieur les limites de ces structures partisanes, et j’ai vu poindre le spectre d’une forme de radicalité. Et même pire, d’une forme de négation de l’esprit initial de la gauche par rapport aux idées de nation, de peuple, de démocratie interne. Et j’ai donc fermé la porte. J’ai démissionné du PS au moment de la NUPES parce que j’ai compris qu’Olivier Faure avait mis le PS dans la main de Jean-Luc Mélenchon, ce que je considérais être une mauvaise stratégie.

Au-delà des plateaux politiques que vous écumez sur CNews ou Europe 1 par exemple, vous êtes aussi écrivain.

Les livres, c’est autre chose. Même si j’étais resté engagé politiquement, j’en aurais écrit. J’ai toujours aimé penser, écrire, travailler sur des sujets politiques ou autres. J’ai fait par exemple un bouquin sur l’histoire des châteaux et logis en Thouarsais dans les Deux-Sèvres, un livre sur la gauche, un sur la déconstruction à mi-chemin entre la sociologie et la philosophie,.. J’ai aussi dirigé un livre de publication « souverain demain » autour de propositions pour la France qui pour le coup était très politique. C’est important de décloisonner la pensée, j’essaie d’être pluriel.

Quelque part, vous êtes parvenu à gagner votre souveraineté personnelle. Certains aujourd’hui considèrent que la France n’est plus souveraine et maîtresse de ses décisions, que le politique a moins de pouvoir que l’économique.

De fait, le politique, l’État est moins puissant en France aujourd’hui qu’il ne l’était par exemple au sortir de la seconde guerre mondiale et sous le général De Gaulle. Mais c’est le cas pour toutes les nations du monde. Les relations internationales ont complètement bouleversé la donne et la souveraineté est moins forte à cause des organisations internationales, de la construction européenne pour ce qui nous concerne. A cause aussi de la financiarisation du monde, de l’économie de marché et de son essor, de la puissance des agences de notation, un ministre français n’a bien sûr plus le pouvoir qu’il avait sous De Gaulle. Il faut composer avec cette réalité.   

Si on reprend l’histoire, qu’aurions-nous pu faire différemment ?

Je veux bien refaire l’histoire même si c’est facile a posteriori. Je suis plutôt un « Chevènementiste », un souverainiste de gauche. Peut-être que si je devais réécrire l’histoire, j’aurais dit « Non, pas ce traité de 2005 », « Pas de Maastricht en 1992 ou alors différemment ». Je ne suis pas pour le Frexit mais j’aurais souhaité une autre construction européenne, avec plus de pouvoir aux « Etats-Nations ». On aurait pu imaginer plein de choses. Mais ça s’est construit différemment. D’une certaine façon aussi, les peuples d’Europe ont élu des dirigeants qui ont agi dans ce sens. Maintenant, il faut s’adapter.

Comment ?

Cette adaptation, elle peut être en rupture. On peut décider de reprendre notre souveraineté sur une variété de sujets, sur notre politique industrielle, sur notre politique économique. On peut prendre des jalons. Le Covid a par exemple montré que dans l’industrie pharmaceutique, on avait besoin d’avoir des géants français. Je ne perds pas espoir pour que la France recouvre des pans entiers de sa souveraineté. Je ne suis pas un pessimiste mais un optimiste. C’est faisable. Et les Français en ont envie. Comment ça se matérialisera ? Avec qui ? Tout ça reste à définir. Il faudra que ça se fasse intelligemment. Proposer un souverainisme basique et dire « il suffit de faire le Frexit et on retrouvera notre souveraineté en 10 jours », ça serait malhonnête et irresponsable. Il faut composer, réfléchir. On ne pourra pas faire sans Bruxelles ou les Nations Unies.

Si vous deviez résumer cette démarche en une citation ?

Je citerai la phrase de Jaurès : « Allez à l’idéal en passant par le réel ».

Crédits :

Interview @Albert_Potiron

Photo : DR