Paul de Saint Sernin
Quand Sniper rime avec douceur
Ancien chroniqueur télé, passionné de sport devenu humoriste à plein temps, Paul de Saint Sernin signe un premier spectacle à son image : lucide, joueur, et toujours en mouvement.
C’est un visage familier des plateaux télé qui s’offre une nouvelle scène : celle du stand-up. Familier parce que si vous ne l’avez pas croisé dans une émission de Léa Salamé le samedi soir sur France 2, vous n’avez pas dû lui échapper sur les réseaux sociaux où les vidéos de ce sniper fou tournent en boucle. Incisif, mais bienveillant. Avec ce premier spectacle, l’Aveyronnais met en jeu son sens de l’observation pour raconter le monde avec esprit et malice. De la pelouse aux projecteurs, ce fan de foot garde la même philosophie : ne jamais perdre le plaisir du jeu. Après avoir commenté les matchs de foot, le voilà commentant désormais la vie, faisant preuve d’une autodérision devenue trop rare. Rencontre avec un joueur de mots qui préfère évidemment le rire au carton rouge.
Vous souvenez-vous du tout premier rire que vous avez volontairement déclenché chez quelqu’un ?
Waouh… C’est une très bonne question. Je me souviens d’être à 9 ans chez mes grand-parents dans l’Aveyron, dans une grande maison un peu froide et triste. Il y a parfois un côté solennel dans les grandes familles. Mes grands-parents ont eu onze enfants et l’aîné des onze en a eu douze. Rien que de ce côté, j’ai 43 cousins. Mon grand-père est assez sévère. Il faut imaginer une grande salle à manger un peu froide avec une cheminée, avec un plan de table, avec l’absence de bruit. Chacun est placé, c’est une immense table et au bout, t’as les petits-enfants, t’as nous. On n’a pas le droit de parler et on est servi en dernier. Il faut qu’on se tienne à carreau. A un moment, ma grand-mère raconte sa journée et mon grand-père commence à se moquer un peu d’elle. Elle dit « j’étais au marché, j’étais à la messe ». Et mon grand-père répète, en se moquant d’elle, « j’étais au marché, j’étais à la messe ». Il l’embête un peu. Elle continue et il s’énerve et lui dit « maintenant, ça suffit, tu arrêtes, tu finis ta soupe et tu te tais ». Grand silence à table. Et d’un coup, sans savoir ce qui me prend, je singe mon grand-père et je dis « et tu arrêtes de parler, et tu finis ta soupe ». Silence de malade. Tout le monde se regarde. D’un coup, il explose de rire et toute la table explose de rire avec lui.
Un moment important ?
Je dirais même fondateur. Je me suis dit « Purée, t’es un petit enfant parmi d’autres. Il connaît à peine mon prénom parce qu’on est hyper nombreux, et là grâce à l’humour, t’existes ». Je comprends alors que l’humour va être quelque chose d’important dans ma vie, sans trop savoir comment. Mais je me souviens très clairement de ce moment.
Vous venez d’une famille stricte où l’éducation était importante. Aujourd’hui, vous avez un humour impertinent, grinçant. Est-ce une arme de défense ou une manière d’attaquer les personnes à qui ça s’adresse ? Non, en fait, ce qui est marrant, c’est que ça, je ne l’ai qu’à la télé. Sur scène, c’est très différent, très doux. Je travaille sur les émotions à travers des histoires où je me moque de moi-même. A la télé, c’est un rôle qu’on me demande de jouer. On me dit « On va inviter des gens, ton rôle c’est d’être un sniper. Tu les vannes et en échange on te donne un salaire ». C’est mon travail, et je le fais du mieux possible. Un sniper, il est là pour sniper. C’est un équilibre à trouver. Il ne faut pas être trop gentil, trop tiède. Mais il ne faut pas non plus aller trop loin et cartonner l’invité gratuitement. Je m’efforce de le faire avec beaucoup de bienveillance. Jean Dujardin m’a dit un jour « Pour faire ce que tu fais, il faut énormément aimer les gens et avoir de la bienveillance ». Sinon la vanne ne marche pas. La question était intéressante parce que sniper, ça va à l’encontre de l’éducation que j’ai eue où on est tous très bien élevés, où on n’existe pas trop, où on ne dérange pas. Là, je dois forcer un peu ma nature.
Vous arrive-t-il parfois de vous censurer?
Souvent. Plein de fois, je m’interdis des choses. C’est le bon côté et le moins bon de ma manière de réfléchir. J’ai 1000 idées à la minute. C’est une chance, mais il faut faire le tri.
Plus que de l’auto-censure, c’est de la sélection.
Oui, c’est ça. Parfois une vanne non prévue sort, et c’est super. C’est souvent les meilleures, parce que ton cerveau sait qu’il fallait la sortir à ce moment-là. C’est presque de l’instinct. Je compare ça à un numéro 9 au foot. T’as beau être un très bon buteur, si tu prends la demi-seconde de trop pour réfléchir, tu ne marqueras pas. Souvent, ils ont tellement entraîné leur corps que ça devient instinctif. C’est pareil pour le snipe. C’est comme un muscle que tu entraînes sur scène, dans les comedy clubs, à table avec ta famille, avec tes potes dans les vestiaires, jusqu’à ce que ça devienne naturel. Brel disait « Le talent n’existe pas, c’est juste un excès de travail ». C’est exactement ça. Je l’ai tellement fait que maintenant, ça devient instinctif. C’est aussi intéressant parce que quand tu es dans une grosse machine comme l’émission du samedi soir sur le service public, il y a un côté où malheureusement, ce n’est pas uniquement la vanne qui prime. Tu es obligé de prendre en compte plein d’aspects extérieurs. Exemples : Tel politique est venu défendre tel truc. Alors si je dis ça, est-ce que ça veut dire que je suis de son côté ? Ou dans 10 minutes, Léa Salamé a prévu d’évoquer un sujet. Si je fais la vanne maintenant, est-ce que ça va lui casser son truc ? Dans ces émissions, tu as plein de mini trucs dans ta tête qui viennent te parasiter. Le but, c’est de s’en défaire au maximum.
Vous évoquiez les Comedy Clubs. Il y en a de plus en plus depuis une dizaine d’années. L’humour est-il en train de devenir un produit comme les autres ?
Comme vous, j’ai vu cette transition, cette accélération. Et je pense qu’au final, ça ne fait qu’élever le niveau global. Il y a plus de mecs qualitatifs, donc mathématiquement, ça tire le niveau vers le haut. Si tu veux survivre là-dedans, tu dois progresser et travailler. Après, il faut comprendre où tu es le meilleur. Un copain auteur me disait récemment « Si la moitié des stand-uppers de Paris comprenaient qu’ils devraient écrire pour l’autre moitié, alors le niveau s’élèverait considérablement ». Souvent sur scène, tu as des mecs qui sont plus faits pour être auteurs et d’autres qui sont plus faits pour être interprètes. Et ce serait marrant s’il y avait des duos qui se formaient comme ça. Très vite, le niveau s’élèverait. Quand il n’y avait que 10 mecs qui jouaient au foot sur la planète, c’était facile d’être le meilleur du monde. Maintenant que toute la planète joue au foot, pour être Lionel Messi, il faut y aller.
Votre spectacle est plus doux que votre activité de sniper à la télé. Comment faire pour convaincre un public qui pense aller voir un sniper sur scène ? Vous précisez les choses sur scène ou vous laissez le public être porté par le spectacle ?
C’est un vrai sujet. Parce que j’essaie de rester un peu qualitatif. Et rare. Je communique peu sur ce que je fais sur scène. J’ai pas envie de tomber dans les excès de certains qui postent de l’impro tous les jours sur les réseaux pour montrer qu’ils sont sur scène. Les gens font souvent la confusion avec mon rôle de sniper, ce qui est assez normal puisqu’il y a beaucoup de vidéos qui passent de moi en sniper. Ils disent, c’est le sniper, il est sur scène, ce qui est tout à fait normal. Très souvent, les gens qui viennent voir le spectacle ne savent pas à quoi s’attendre. Ils me font confiance parce que je crois qu’ils m’aiment bien. Ils sont souvent très surpris de ce qu’ils prennent, de ce qu’ils voient… Et j’adore garder cette surprise. C’est pareil pour certains acteurs de cinéma qui jouent des méchants en permanence. Souvent, c’est des crèmes dans la vie. Je n’ai pas fait de stats, mais 99% des gens me remercient à la fin d’avoir un spectacle écrit de A à Z. Avec une histoire, un début qui rappelle la fin, un fil conducteur, du sens, un message. Et pas juste un gars sur scène qui snipe le public. Alors que je pourrais. Mais ça serait une solution de facilité. Je me suis forcé à beaucoup travailler pour avoir un spectacle dont je suis fier à la fin.
Qu’auriez-vous fait dans la vie si vous n’aviez pas été humoriste ?
Footballeur professionnel. C’était mon objectif. J’ai fait des stages nationaux quand j’étais plus jeune avec les bons jeunes du pays. C’était mon monde. Si tu me demandes mon rêve, c’est celui-ci.
Vous jouez encore en club ?
Oui. J’essaie de jouer trois fois par semaine. J’ai une licence. Là, je viens d’être champion du monde des créateurs. Ça ne doit pas forcément vous parler, mais il y a plein d’influenceurs et de mecs avec des abonnés qui n’étaient pas trop mauvais au foot, qui ont été sélectionnés pour représenter la France. Ils ont fait pareil avec l’Espagne, l’Angleterre, l’Argentine, la Colombie, le Chili. Et moi, j’étais hyper fier d’être sélectionné en équipe de France. On est parti en Malaisie jouer une vraie coupe du monde dans des stades de 40 000 places avec un super niveau. Il y avait des anciens joueurs avec nous, des anciens joueurs d’équipe de France, d’Espagne, etc. Au terme de neuf matchs, on a été champions du monde.
Au fait, que diriez-vous à quelqu’un qui hésiterait à venir vous voir sur scène ?
Je ne sais pas si c’est un argument suffisant, mais…il faut oser. Il faut oser venir et découvrir un truc différent. Surtout, c’est rare les spectacles où tu ris toutes les 7 secondes et tu pleures à la fin, non ? (Rires)
Paul De Saint Sernin en tournée
Interview @Albert_Potiron
Photo : Lambert DAVIS