Mehdi Benrabah est tombé dans la marmite du manga, il y a plus de 10 ans. Il est directeur éditorial chez Pika Editions. A l’occasion du dixième anniversaire de l’Attaque des Titans et d’une tournée en Nouvelle Aquitaine, il nous confie les secrets du succès de la série. 

Vous êtes directeur éditorial chez Pika Edition, pourriez-vous nous décrire en quoi consiste votre métier ? 

Mon travail est d’aller chercher au Japon les séries qui commencent à se faire connaître. J’alimente et j’enrichis les lignes éditoriales de Pika, qui se veut être un éditeur généraliste depuis plus de vingt ans. Je fais en sorte que les mangas soient édités dans les meilleures conditions chez nous.

Etiez-vous convaincu du succès de l’Attaque des Titans en France ? Était-ce une prise de risque de publier la série chez Pika ?

Je n’étais pas à Pika lors de la sélection de l’Attaque des Titans. Je peux vous dire en tous cas que le publier en 2013 a été un vrai pari.  Pour autant, le succès critique grandissant au Japon à ce moment-là a conforté Pika dans sa décision. L’Attaque des Titans est une série hors norme et éloignée des codes du manga traditionnel. Le graphisme et le traitement de l’histoire sont très originaux. Les thèmes abordés touchent autant les adolescents que les plus vieux.  Tous ces éléments étaient susceptibles de plaire à un grand lectorat. 

Obtenir la licence de cette série a-t-il été difficile ? Comment êtes-vous entré en contact avec l’auteur ? 

Des arguments convaincants auprès de l’éditeur japonais ont été mis en avant. Un plan marketing a été présenté avec les efforts de promotion envisagés.  Pika fait partie des leaders du manga en France et est chez Hachette. On a donc la chance d’avoir une assise et une certaine aura à l’international. Pour autant, rien n’est jamais acquis. Obtenir le droit de diffuser une œuvre d’un auteur est toujours un honneur. 

“ L’Attaque des Titans est une série hors norme et éloignée des codes du manga traditionnel. Le graphisme et le traitement de l’histoire sont très originaux”

Quel a été le processus de traduction de cette œuvre pour la diffuser en France ? Quelle a été la stratégie pour la rendre accessible au public français ?

Au Japon, les mangas ne sortent pas directement en format relié mais par chapitre. Nous sommes la première maison d’édition française à avoir proposé de la “simultrad”.  Tous les mois, les lecteurs japonais pouvaient lire un nouveau chapitre de l’Attaque des Titans dans des magazines de prépublications qui regroupent des passages inédits d’une dizaine de séries japonaises.  Nous avons décidé de proposer en simultané la traduction de ces pré-publications de la série en version digitale pour les lecteurs français. Les traducteurs et traductrices de l’équipe Pika ont pu rendre possible ce tour de force. Cette démarche a beaucoup plu auprès des fans du manga. 

En 2023, Pika Edition a lancé une tournée pour l’anniversaire de cette série. Vous avez fait venir l’auteur japonais jusqu’à Angoulême à l’occasion des 50 ans du festival de la BD ! Comment êtes-vous parvenu à l’inviter en France ?

Nous sommes parvenus à l’inviter grâce à notre complicité avec le festival d’Angoulême. Leur équipe s’est occupée de démarcher l’éditeur de Hajime Isayama. En règle générale, Pika n’est jamais en contact direct avec les auteurs japonais. Nous avons été en soutien dans l’invitation. Puisque la série des mangas est terminée, l’auteur a pu se rendre disponible. Grâce à ces circonstances, on a réussi à convaincre l’éditeur et l’auteur !  

Le manga de l’Attaque des Titans est achevé tandis que la version animée est toujours en cours de diffusion en France, quelle conséquence en découle-t-il ? 

La version animée est disponible sur plusieurs plateformes comme Netflix. L’adaptation animée prend plus de temps dans sa conception. L’avantage pour nous est que les spectateurs impatients de connaître la suite se dirigent donc vers le manga. Grâce à la version animée, on a pu recruter beaucoup de lecteurs. Elle a largement participé au succès de la série en France. 

Avez-vous regardé la version animée de l’Attaque des Titans ? Que pensez-vous de cette adaptation ? 

La trame principale du manga original est respectée. Le réalisateur et le showrunner ne peuvent se permettre de prendre des libertés que s’ils obtiennent l’accord de l’auteur. Dans le cas de l’Attaque des Titans, des choix d’adaptation ont été faits. L’ordre de certaines scènes a été modifié, par exemple. Selon moi, l’animé vient compléter l’expérience du manga. Il n’est pas un copié-collé, il y a des partis pris intéressants. J’aimerais saluer la qualité de l’animation  qui rend vraiment hommage au côté épique des combats dans la série. 

Est-ce que vous considérez que le monde du manga reste peu accessible en France et confiné à un public “spécifique”, de “niche” ? 

Je pense que le manga se démocratise de plus en plus. Grâce à des séries comme l’Attaque des Titans, je trouve qu’on arrive à toucher à la fois la communauté manga mais aussi, de nouveaux lecteurs. Le sens de lecture du manga est, par exemple, de moins en moins un obstacle. 

Auriez-vous  un manga à recommander pour les novices ? 

L’Attaque des Titans [rires]. Sinon, je recommanderais Blue Period. Ce manga aborde l’univers de la peinture de manière fascinante. Les personnages sont très charismatiques. Le héros de l’histoire est un lycéen qui semble avoir tout pour lui. Pourtant, il se sent comme une coquille vide. La découverte d’un club d’art de son lycée vient tout bouleverser. L’adolescent décide de se mettre à la peinture après avoir été submergé d’émotions à la vue d’un tableau. C’est un éloge à l’art en général !

Quelle est votre dernière lecture de manga, des recommandations ? 

Je recommande chaudement notre manga Jumbo Max dont le tome 9 paraîtra le 21 mai prochain. Je dirais que c’est Breaking Bad version manga. Le personnage principal a tout d’un loser. Il se révèle lorsqu’il met le doigt dans l’engrenage infernal du trafic de substances illégales. Jumbo Max est un manga noir et drôle à la fois, l’histoire est juste excellente.

CRÉDITS : 

@pika_edition

@hajimesorayamaofficial 

Interview et texte : @colinechpr