Malik Benthala
Le retour du sage
En juin dernier, Malik Benthala réjouissait ses fans avec l’annonce de son nouveau spectacle, « Nouveau Monde ». De retour à Niort le 29 octobre prochain, marqué par une récente dépression dont il a beaucoup parlé dans les médias, le natif du Gard se raconte entre bienveillance et humour.
Après des débuts dans les cafés-théâtres parisiens, Malik Benthala se fait connaître grâce au « Jamel Comedy Club ». Deux one-man shows et quelques incursions au cinéma plus tard, l’humoriste devenu incontournable s’est récemment lançé dans des parodies qui ont fait un buzz fou sur X (plus de 15 millions de vues en moins de 24h). Par son humour, souvent inspiré de sa propre vie et de ses origines maghrébines, son énergie et son style unique situé dans un « entre-deux » difficile à définir précisément, Benthala séduit. Et fait l’air de rien réfléchir celles et ceux qui le suivent. A 35 ans, le voilà de retour avec un nouveau spectacle et après un burn-out dont il a beaucoup parlé dans les médias. L’occasion rêvée pour parler d’autre chose avec lui.
Bonjour Malik. Comment allez-vous ? Vous sortez un nouveau spectacle intitulé « Nouveau monde ».
Malik Benthala : Ça va bien, merci. Ce nouveau monde, c’est le mien, et par prolongement le nôtre. Le monde s’est un peu arrêté pendant le covid, cela m’a permis de faire une introspection. Je voyais les choses évoluer rapidement autour de moi, notamment dans mon métier. Les conséquences du covid ont été l’accélérateur de plein de choses : l’arrivée de nombreuses plateformes, la starification de streamers et de youtubeurs. Je voyais tout ça évoluer et parfois, ça me faisait marrer. C’est de là que sont notamment nées quelques parodies que j’ai mises en ligne sur les réseaux sociaux. Le nouveau monde, c’est aussi les réseaux sociaux. Un monde de la surexposition permanente, de la starification à outrance. Parfois ça a du bon, parce que tout le monde a sa chance grâce à son réseau, grâce à internet. Et parfois des gens sont starifiés sans qu’on comprenne trop pourquoi. J’en parle un peu dans le spectacle, mais loin de moi l’idée de distribuer les bons points, de dire ce qui est légitime ou non.
Après « Malik Benthala se la raconte » et « Encore », c’est votre troisième one-man show. En quoi est-il différent des précédents ?
Malik Benthala : Je ne suis pas revenu plus tôt parce que je n’en ressentais pas le besoin. Je ne veux pas occuper le terrain pour occuper le terrain, par peur d’être oublié. Je veux vraiment être sincère envers le public, et revenir sur scène quand j’ai des choses à dire, même si ça fait un peu Nelson Mandela de dire ça. Comme si les gens m’attendaient ! (Rires). Ce que je veux dire, c’est juste que je voulais être aligné avec moi-même, je voulais que ça me manque. Ne pas me dire « Vite, dépêche-toi. Ça fait plus de deux ans que t’es pas monté sur scène et les gens vont finir par t’oublier. En plus il y a plein d’autres jeunes humoristes sur scène, ils vont prendre ta place ».
Le stand-up a explosé depuis 4-5 ans et est devenu un secteur hyper concurrentiel. Avez-vous des amis dans ce milieu des requins de la blague ?
Malik Benthala : Quelques-uns. L’avantage, c’est que j’ai démarré très jeune, à 18 ans. La première fois que je suis monté sur scène, c’était en 2008, à Paris, dans une salle ouverte. J’en connais quelques-uns dans la nouvelle génération qui me font beaucoup marrer, mais je suis plus proche des gens de ma génération, notamment de Jérôme Commandeur qui me fait hurler de rire. Et d’Alex Lutz, un génie. Sinon, mes plus grands amis sont plus mes amis d’enfance que les amis de ce métier.
Vous évoquez le fait de ne pas vouloir revenir sur scène pour de mauvaises raisons, notamment mercantiles. Vous êtes néanmoins le premier humoriste français à avoir signé un contrat avec Adidas.
Malik Benthala : J’ai une devise. Je fais ce métier pour ceux qui m’aiment. Quand on se donne du respect et qu’on a une vision commune, une vision qui nous permet de créer des ponts entre les univers, pourquoi ne pas y aller ? En l’occurrence, l’univers Adidas me parle car c’est une marque qui s’ouvre de plus en plus. Je voulais aussi faire des choses pour la jeunesse, et on a pas mal de choses en train de se préparer pour elle. Autour du foot notamment. On a aussi envie d’aider les jeunes issus de milieux assez difficiles. Pourquoi moi ? Il faudra leur demander. Ils ont dû aimer mon retour. J’ai eu une discussion avec les boss d’Adidas France, et nous avions une vision commune. C’est pas pour me la raconter mais je refuse énormément de choses. Je pourrais gagner beaucoup plus d’argent, mais c’est pas ma boussole dans ce métier. Je suis déjà un privilégié, je pourrais gagner encore plus, mais l’argent n’est pas mon moteur et ne le sera jamais. Adidas, c’est Zidane. Et ça me suffit.
Parmi vos nombreuses casquettes, vous êtes également réalisateur. Vous avez co-réalisé Jack Mimoun et les secrets de Val Verde, un très bon film d’aventures. Deux ans plus tard, quel regard jetez-vous sur le film ? Réaliser, c’était compliqué ?
Malik Benthala : Le cerveau humain est sûrement fait de cette façon, mais avec le recul, je n’en garde que des bons souvenirs. Les mauvais souvenirs sur ce projet, c’était parfois l’organisation. Nous avions tourné le film en plein covid, en Asie. Je vous laisse imaginer… Quand on vous appelle à 17h le soir pour vous dire que le décor du lendemain est annulé, et qu’on devait amener 200 personnes sur ce décor, c’est compliqué. Je te laisse imaginer la panique quand tu es au fin fond de la jungle en Asie, ce que ça engendre en terme de coût, etc. Sinon, je n’en garde que du bonheur.
Pourquoi un film d’aventures ? C’est assez rare en France aujourd’hui.
Malik Benthala : Ce film, c’était un rêve de gosse. Les producteurs m’avaient laissé faire le film que je voulais. J’ai trouvé un ami en la personne de Ludovic Colbeau-Justin comme co-réalisateur. Je voulais qu’il y ait un héros, dont on ne connaît pas les origines, le milieu social, la religion. On connaît juste sa soif d’aventures et son envie de se marrer avec ses potes, en l’occurrence François Damiens, Jérôme Commandeur, Benoît Magimel et Joséphine Japy. C’était un hommage aux films d’aventure des 80’s qui m’ont fait rêver quand j’étais plus jeune : les Goonies, A la poursuite du diamant vert, Indiana Jones,… C’est ce qui me faisait vibrer quand j’étais plus jeune, c’est ce que j’ai voulu faire.
Avez-vous un nouveau projet de film à réaliser en vue ?
Malik Benthala : Pas du tout. C’est vrai que là, pour être totalement honnête avec vous, je ne me reconnais pas trop dans ce qu’on me propose. Aujourd’hui, la situation a énormément changé. Les gens qui dirigent les plateformes sortent souvent d’écoles de commerce. Quand tu vas les voir avec un projet artistique, ils te parlent de suite de chiffres. « Quel est le casting ? Fait-il des vues sur TikTok, etc ? ». Voilà ce qu’on te demande. Je sens un décalage avec eux. Plutôt que de tomber dans l’aigreur et leur en vouloir, je préfère prendre du recul, faire mon spectacle, faire mes parodies sur internet. Et si un jour quelqu’un bosse dans une plateforme et est touché par ce que je fais, je ferai un film avec plaisir avec lui si on trouve un sujet qui nous parle. Mais aujourd’hui, je ne me reconnais pas trop dans le virage que tout ça est en train de prendre.
Au-delà des films que vous venez de citer, quels étaient ou quels sont encore vos films de chevet ?
Malik Benthala : Il y en a plein. Bizarrement, quand tu me parles de ça, le premier qui me vient à l’esprit, c’est Le dîner de cons. Un film qui se passe dans un décor et demi, mais avec un texte phénoménal. Le scénario, le jeu d’acteurs, tout est excellent. Diamétralement opposé, Mission Cléopâtre avait aussi été pour moi une grande claque au cinéma. Titanic, La vie est belle de Benigni, plus récemment La la land,… Je suis très éclectique. La dernière claque que j’ai prise, c’est Tehachapi, un documentaire de JR que je conseille à tous.
Quand on décortique votre carrière on a parfois un peu du mal à vous suivre. Vous êtes partout. Spectacle, cinéma,… Vous avez aussi rejoint Les Enfoirés. Votre carrière, vous la construisez méthodiquement ou elle est liée au hasard des rencontres ?
Malik Benthala : C’est vraiment méthodique. C’est beaucoup de réflexion. J’aime me mettre en jachère, réfléchir, analyser les choses, voir comment évolue le milieu autour de moi, etc. Ensuite, je décide de mettre les choses en place et je me lance. J’ai une équipe formidable qui me suit. Aujourd’hui, rien de ce qu’on me propose ne me fait vibrer. C’est pour ça que j’ai décidé d’aller un peu ailleurs. Je fais de la parodie. Une parodie me donne d’autres idées. Je dois dire aussi que les parodies me mettent dans un mood de rigolade. Le mood qui me ressemble le plus et qui me donne envie de remonter sur scène. Tout cela draine du positif et du drôle.
Ca n’a pas toujours été le cas ?
Malik Benthala : A un moment donné j’avais tellement envie de faire du cinéma que parfois, j’allais un peu contre-nature. Quand t’as envie de faire du cinéma, tu peux penser que la réussite ne passe que par ça, par le septième art. Tu peux avoir l’impression que la légitimité, tu vas l’acquérir au travers des prix, des récompenses. Alors que tout ça, c’est du vent et ça n’a aucun sens. On ne sait parfois même pas qui les attribue. La plus belle des récompenses – et je le dis si un jour des gens de Niort ou de La Rochelle tombent sur cet article – c’est l’amour d’un public. Si t’as 40 personnes dans ta salle, c’est 40 personnes qui ont fait la démarche de venir, de prendre leur bagnole, de garer la voiture au parking, de faire garder les enfants,… C’est déjà fou. Le public, c’est un vrai partenaire qui va te suivre, aimer ce que tu fais, te supporter. Elle est là la victoire. C’est pas le fait d’avoir un truc en fer ou mordoré sur Canal+ en prime où tu remercies ton agent et ta belle-sœur.
De manière générale, c’est très compliqué dans la culture ou dans l’art de comparer une œuvre à une autre, un film à un autre film, un album à un autre, etc.
Malik Benthala : On a besoin d’avoir ce sentiment d’appartenance. Si on a un prix, on va être accepté par l’intelligentsia parisienne. D’un coup, te voilà le bienvenu. Tu es accepté. Tu vas te sentir pousser des ailes, et c’est comme ça que tu finis par porter des mocassins et un chapeau. Erreur. L’expérience m’a appris une chose. Ta force, c’est de rester toi-même. Prenons un exemple qui me parle. Jul. S’il avait pas été solide sur ses appuis, s’il avait écouté au début de sa carrière tous les gens qui lui disaient « Non, tu devrais pas t’habiller comme ça. Non, tu devrais pas faire de vocoder. Non, tu devrais pas arriver sur scène en claquettes-chaussettes », il n’en serait peut-être pas là. Jul a dit « Je vous emmerde, c’est à prendre ou à laisser. C’est moi. Si ça ne vous plaît pas, tant pis. Au moins je serai resté naturel et je ne me serai pas trahi ».
Il ne s’est pas trahi puisqu’il arrive en scooter sur scène en faisant une roue arrière.
Malik Benthala : Exactement. C’est lui. Il est comme il est. Et ça parfois, quand on n’a pas le bon entourage, on a tendance à vouloir entrer dans la peau d’un personnage pour être accepté, pour être validé par les acteurs, le showbizz, les producteurs. Je préfère faire une carrière avec moins d’entrées, moins d’argent, mais ne pas me trahir et pouvoir me regarder dans un miroir.
Aujourd’hui, vous faites des parodies qui cartonnent sur les réseaux sociaux, dépassant parfois les 15 millions de vues en 24h. Comment parvient-on à rester soi-même quand on a une notoriété grandissante comme la vôtre ?
Malik Benthala : Ces vidéos ont cartonné parce que j’ai décidé d’être aligné avec moi-même. J’ai tenté quelque chose en me disant « ça passe ou ça casse ». Soit j’allais être le ringard qui a quitté le cinéma pour faire des vidéos sur Youtube et ma carrière allait s’effondrer, soit ça allait être un nouveau rebond pour moi et me donner raison. Dans ce cas, cela voudrait aussi dire quelque chose. Pour le coup, le public est plus que présent, et ça m’a donné raison sur le fait de rester moi-même. Ça me touche en plein cœur, et je reste le Malik que j’ai toujours été.
Vous évoquiez Jul. Quelle musique écoutez-vous ?
Malik Benthala : J’ai la chance d’avoir un papa qui a fait de la guitare et qui adore la musique. Très tôt, il m’a fait baigner dans Eric Clapton, Dire Straits, Cat Stevens,…Aujourd’hui, je peux aussi écouter Hamza, Jul, DJ Snake, mais aussi de la variété comme Teri Moïse, Céline Dion. En ce moment, je dois avouer avoir un petit coup de cœur pour Kendrick Lamar depuis le clash avec Drake. Quel artiste incroyable.
C’est un artiste très influencé par la soul music.
Malik Benthala : Exactement. D’ailleurs, j’écoute aussi James Brown, Stevie Wonder, Al Green.
Quels conseils donneriez-vous à un jeune qui veut se lancer dans le stand up ou dans le cinéma ?
Malik Benthala : Je suis passé par là. Le conseil qui me vient instinctivement, c’est « Ne sois pas pressé ». Tout va vite dans la génération Tik Tok. Parfois je fais des vidéos de 5 minutes et on me dit « C’est long ! ». Je me dis « Comment allez-vous faire pour regarder un film d’1h50 au cinéma ? ». Je dirais aussi aux jeunes de ne pas tout accepter, de ne pas faire tout et n’importe quoi dès le début. Une carrière, ça se construit. Tes débuts ne doivent pas être une tâche impérissable sur ton cv. Prends le temps, n’écoute pas ce qu’on va te dire de l’extérieur. Sois toi- même, habille-toi comme tu veux. Ça prendra peut-être plus de temps, mais au moins quand tu y arriveras, tu seras là pour longtemps. Ne te dénature pas pour le succès ou l’argent. Et sois solide quand t’es à deux doigts de jeter l’éponge. Je ne sais plus qui disait « ça m’a pris 10 ans pour être connu du jour au lendemain ».
Finalement, regrettez-vous certains de vos choix ?
Malik Benthala : Pas dans ce que j’ai fait mais peut-être dans ma manière de faire. Parfois, j’ai pu aller vers la facilité dans certains sketchs, aller dans le sens de ce qui marche. Je ne le fais plus aujourd’hui, grâce à l’expérience. Une dernière citation pour la route : « Si on est le même homme à 20 ans qu’à 50, on a perdu 30 ans de sa vie ».
Malik Bentalha @ lacclameur – 29/10/2024
Interview @Albert_Potiron
Crédit photo : @JOCELYN HAMEL