Ma PME en héritage
Thébault et Prévost sont des noms qui sonnent dans l’histoire économique deux-sévrienne. Deux belles entreprises familiales qui se développent depuis 70 ans. Antoine et Sébastien en sont les dignes héritiers, issus de la même génération, garants de la pérennité des grands projets. Ces capitaines d’industrie modernes ont bien voulu nous confier leurs doutes, leurs aspirations et un peu de leur intimité.
Pouvez-vous présenter vos activités en quelques mots ?
Sébastien Prévost :L’entreprise a été fondée en 1953 par mon arrière-grand-père.
Il faut distinguer Deya et PSI groupe. Nos gammes de produits sont les portes, les huisseries, les plateaux d’échafaudages, les placards. PSI groupe est spécialisé dans les ossatures pour plaque de plâtre. Le fil directeur c’est le métal. Les deux groupes réunis représentent 200 millions de CA, emploient 800 personnes sur dix sites de production (dont deux en Espagne).
Antoine Thébault : Jean Thébault, mon grand-père, a créé le groupe en 1953 à Magné. Il a été rejoint par son frère, puis mon père et mes deux oncles ont fortement développé l’entreprise pendant plus de 30 ans. Nous sommes aussi originaires de Sauzé-Vaussais où nous avons une usine. Nous fabriquons 125 000 m3 de panneaux contreplaqués bois à base d’okoumé, de peuplier et de pin maritime ; c’est la moitié de la production française. Nous avons cinq usines en France, une au Gabon et une exploitation forestière. On réalise un CA de 100 millions d’euros, nous employons 400 personnes.
Quels sont vos premiers souvenirs de l’entreprise familiale ?
AT : Mon père qui se levait en pleine nuit pour aller à l’usine quand il y avait des pannes.
SP : Mon père sans arrêt parti. Ses déplacements me faisaient penser à une aventure permanente. Je trouvais hyper fun de pouvoir lier son activité professionnelle avec des relations proches partout en France ou en Europe. Je savais qu’il était souvent au resto et ça me parlait bien. Il y a aussi l’odeur du métal dans le bâtiment historique et les bruits.
« Je suis une espèce de gardien des clés. Assurer la pérennité c’est déjà être un bon gestionnaire et ce n‘est pas si simple que ça. » Sébastien Prévost
Était-il très clair que vous alliez reprendre le flambeau ?
AT : Très tôt je voulais produire et travailler en équipe. Après le bac, j’ai fait des études d’ingénieur à Paris dans le BTP. Pour moi, il n’était pas prévu que je rejoigne l’entreprise. Mon père ne m’a jamais forcé et je n’ai jamais voulu y mettre un pied même l’été pendant mes vacances scolaires. Je souhaitais me faire seul et autrement, et étais fortement attiré par les Travaux Publics où je me suis régalé pendant 14 ans.
SP : Mon père a la fierté de l’histoire familiale chevillée au corps. J’ai toujours baigné là-dedans. Très tôt, j’ai voulu faire partie de l’aventure. Après mon bac j’ai tout fait pour mériter d’intégrer l’entreprise : une prépa puis une école de commerce. Je voulais faire mes preuves ailleurs. C’est une filiation que j’ai toujours sentie, souhaitée.
Comment faites-vous pour asseoir votre légitimité ?
SP :La légitimité, on la recherche toujours un peu et en même temps on a une facilité à l’imposer avec le nom. Et puis je suis entouré de personnes proches et impliquées qui partagent la même soif de développement.
AT : La légitimité se fait naturellement par les actes. Je suis entré sur la pointe des pieds, j’ai fait mes preuves par le travail. Je suis arrivé dans une entreprise qui fonctionnait bien mais le monde change. Je fais évoluer, je ne révolutionne pas, entouré d’une belle équipe, très engagée, expérimentée et performante.
Il faut s’affranchir des générations d’avant, ne pas décevoir… Y pensez-vous au quotidien ? Comment gérez-vous vos entreprises ?
AT : Pour moi c’est assez léger, sans doute grâce au fait que j’ai évolué 14 ans ailleurs, avant. Mais il y a aussi une part d’inconscience nécessaire vu les risques que l’on prend, même s’ils sont maitrisés et préparés. Il faut être fier du courage que l’on a, mais la responsabilité, qui est la nôtre, ne nous quitte jamais. La transmission d’entreprise est une étape importante et fragile dans l’histoire d’une entreprise. Reprendre une entreprise a un coût. Je sais que certaines décisions peuvent mettre à mal 70 ans d’histoire. Nous ne sommes pas à l’abri d’erreurs industrielles ou de problèmes conjoncturels qui nous dépassent. Il est important d’avoir des réserves pour faire face, pour pouvoir entreprendre sereinement.
SP : Je pense que mon père et mon oncle ont bien développé l’entreprise. Je suis plus humble car l’environnement a changé. Je suis une espèce de gardien des clés. Assurer la pérennité c’est être un bon gestionnaire, ce n‘est pas si simple que ça. Je me sens aussi garant de la pérennité d’une mentalité d’entreprise. Je préfère ne pas recruter que me tromper. Nous travaillons dans une ambiance familiale, avec des gens hyper impliqués, en phase avec nos valeurs et ambitions.
En quoi la filiation familiale a-t-elle de l’importance dans la vie d’une entreprise ?
AT : Dans les entreprises à actionnariat familial, toutes les décisions sont prises en pensant à la génération d’après. C’est une vrai force, avec une vision très long terme en permanence.
SP : L’entreprise ne nous appartient pas, elle est déjà philosophiquement à la génération suivante. Quelqu’un d’autre pourrait gérer l’entreprise mais l’histoire ne serait pas la même.
Vous pensez déjà à la reprise par vos enfants ?
AT : Je ne forcerai pas mes enfants à suivre des études pour prendre la suite. Il faut avoir la foi dans ce qu’on fait, être bien dans ses baskets.
SP : Avant même de parler de reprise, je serais très heureux que mes enfants s’investissent dans l’entreprise. Mais ce n’est pas parce que tu es de la famille que tu seras bon. La difficulté est de pouvoir faire émerger de nouveaux talents, des gens qui pourront s’identifier et porter l’histoire de l’entreprise après.
« Entreprendre, avoir de l’audace, tout en assurant la pérennité de nos entreprises sont des actes courageux, et qui invitent toujours à l’humilité. Mais nous pouvons aussi en être fiers. Antoine Thébault
Vos pères sont encore très présents après les transmissions. N’est-il pas difficile de ‘tuer le père’ ?
AT :
J’ai la chance de m’entendre à merveille avec mon père, professionnellement et personnellement. Une relation de très grande confiance, de proximité et de confidences. Il n’y a pas de lutte de pouvoir et nos entourages professionnels et personnels le sentent autour de nous, je pense. Je me sens capable de prendre toutes les grandes décisions tout seul mais je ne l’ai encore jamais vécu. Il a toujours été à mes côtés depuis sept ans. Je dis souvent que l’entreprise sait tourner sans mon père et mon oncle, mais elle est bien meilleure avec eux.
SP : Je suis dans l’entreprise depuis vingt ans, il y a eu une transition très très progressive. Les rôles sont clairs maintenant. Mon père est un conseiller. Les entreprises peuvent tourner sans nos pères mais elles sont meilleures avec.
Il faut des entourages très solides pour supporter vos trains de vie.
AT : Le socle familial est essentiel. Je ne serais pas aussi disponible et performant si je n’avais pas mon épouse qui accepte ce rythme de vie avec de nombreux sacrifices. Elle sait me ramener à la réalité, partager les moments difficiles.
SP : La stabilité de nos vies amicale et familiale est hyper importante. Être bien entouré dans l’entreprise est aussi fondamental. J’ai la chance d’avoir une super équipe, une armée de généraux prêts à sauter par la fenêtre s’il le faut.
Est-ce important de préserver l’indépendance de vos capitaux ?
SP : Nous montons des entreprises en association mais la tête de groupe est sécurisée. Je suis toujours un peu triste quand une entreprise familiale est vendue. Je trouve plus beau quand l’âme familiale est là plutôt qu’une gestion par des financiers. Capitalistiquement il est aussi important de ne pas être trop dans les mains des banques pour garder un esprit d’indépendance.
AT : La force de nos entreprises, entre autres, c’est leur réactivité, agilité. On ne passe pas par un conseil d’administration pour prendre des décisions. Toute la difficulté de l’indépendance c’est la transmission. La valeur que prennent nos entreprises les rend difficiles à transmettre, et c’est un vrai enjeu pour l’indépendance et l’avenir de toutes nos entreprises à actionnariat familial qui grandissent.
Quel genre de manager êtes-vous ?
AT : Ce que j’aime c’est mener des hommes, être sur le terrain. Ce qui me plait c’est le côté compet’ et de pouvoir en être le leader. J’ai reçu une belle éducation en jouant au foot, avec cette mixité de classes sociales, de générations, de personnalités, d’histoires, d’origines, etc….mais aussi de gout de la gagne en collectif. Je pense que c’est dans les moments de crise que je me révèle, en dévoilant ses sentiments sincères et en étant une sorte de « phare » pour les équipes. C’est aussi notre rôle. Mais tout cela est bien moins difficile avec une bonne équipe autour de soi, ce qui est mon cas.
SP : Ce qui me plait le plus c’est l’investissement en équipe. Je suis très proche de mon personnel. Je suis d’accord, les entreprises tournent sans nous, mais c’est quand il faut aller à la charge que notre présence compte.
Quels sont vos rapports avec l’étranger ?
AT : La première question que l’on se pose est : qu’est-ce qu’on peut faire en France ? Entreprendre pour créer de la richesse et des emplois ici. Pour réindustrialiser le pays, donner confiance et rendre plus viable nos projets, il faudrait commencer par taxer plus certaines importations, et donc être volontaristes jusqu’au bout. Il faut savoir ce que l’on veut. Nous exportons 70% de nos volumes produits.
SP : Je ne crois pas au business model de la délocalisation. Quand on investit en Espagne c’est pour travailler le marché local. La diversification géographique a fait partie de nos priorités à une époque. J’en reviens un peu. Nous exportons moins de 2 % de notre production.
AT : Il est nécessaire d’investir à l’étranger, parfois, pour pérenniser nos emplois en France, mais ce n’est pas pour profiter de couts moins élevés. Ce qui a été notre cas avec le Gabon, avec l’interdiction de l’exportation des grumes en 2009 et donc cette nécessité de réaliser la première étape de la transformation là-bas.
Des projets pour la suite…
AT : Nous avons ce gros projet de développement en Haute-Loire. On investit l’équivalent de notre CA. On se projette sur les 15-20 prochaines années. L’idée est de consolider et renforcer l’existant, tout en continuant de nous développer et que le bois, essentiel à la décarbonation de notre construction, soit bien plus utilisé.
SP : Des très grands projets, on en voit un tous les dix ans. Nous venons de réussir le rapprochement des groupes Deya et PSI.
Que diriez-vous de votre métier de chef d’entreprise ?
AT : C’est passionnant d’être à la tête de son entreprise. Cette liberté qu’on a… sans en avoir en fait.
SP : Moi je me sens tout sauf libre. C’est beaucoup de travail pour assez peu de plaisir. C’est en se retournant qu’on voit que l’histoire est belle. On profite tous les jours de la présence de nos collaborateurs, de petits moments suspendus.
AT : Nous avons des équipes formidables et dévouées, qui travaillent comme si c’étaient leurs entreprises. Ils élèvent notre niveau d’exigence. Ils doivent se retrouver dans l’autonomie qu’ils ont gagnée. Ils représentent une entreprise qui leur ressemble.
Interview @charlesprovost
texte @karlduquesnoy
photo : @lambertdavis