LOMEPAL Dans le bon ordre

LOMEPAL
Dans le bon ordre

Arrivé dans la cour des grands du rap francophone, Lomepal a eu la sagesse de redevenir Antoine Valentinelli et d’opérer un break de trois ans. Mais ne pas se laisser abuser par le titre de son nouvel album, « Mauvais ordre » : il revient les idées claires, tant dans sa tête que sur sa carrière, avec une formule rap et rock, l’un des concerts les plus attendus des Francofolies de la Rochelle 2023.

« J’suis à peu près sûr d’être à peu près quelqu’un de solide » (« A peu près ») / « Laisse-moi te jouer Strawberry Fields » (« Pour de faux ») / « Envie de planter quelques tomates et de faire du son sans ordi » (« Tee »).

On le sait, il faut distinguer l’homme de l’artiste. Mais l’automne dernier, à la découverte de ces extraits de « Mauvais ordre », son troisième album, impossible de ne pas en déduire que Lomepal revenait transformé. D’ailleurs, est-ce lui ou Antoine Valentinelli ? Il a beau brouiller les pistes, sa trajectoire vers les sommets de la chanson française apparait limpide : celle d’une personnalité rare, qui a connu une ascension foudroyante et a ensuite dû rattraper le retard sur les étapes brûlées de sa vie, assumer son passage à l’âge adulte. Un programme que contiennent en filigrane les textes confessions de « Nouvel ordre », qui font autant office de remise à zéro que d’énorme bond en avant. D’autant que le rappeur y revient accompagné d’un groupe qui lui donne une assise musicale quasi rock et l’accompagne depuis une mini-tournée « fantôme » de rodage dans des petites salles. Des concerts annoncés au dernier moment, parmi lesquels Le Ferrailleur à Nantes où J’Adore Niort était au premier rang. Tournée qui se poursuit sur les plus grandes scènes en 2023, avec escale aux Francofolies de la Rochelle le 13 juillet.

Au fait, pourquoi Lomepal ? Le surnom lui est donné par des copains d’enfance qui l’appellent « l’homme pâle » pour son teint maladif. Né en 1991 dans le 13e arrondissement de Paris, cet autodidacte du chant fait ses premières armes au sein du collectif l’Entourage (Nekfeu, Deen Burbigo…) C’est au milieu de l’année 2017 que son nom éclate dans le paysage musical avec son premier album « FLIP ». Sa pochette détonne autant que son propos. Il y apparait travesti en femme sur fond rose tandis que ses textes le montrent à cœur ouvert. Après quelques EP solo passés relativement inaperçus, « FLIP » lui vaut un succès critique et public. Battant le micro tant qu’il est chaud, il enchaine fin 2018 avec « Jeannine », album titré du prénom de sa grand-mère atteinte de schizophrénie. Une nouvelle fois, il démontre qu’il n’est pas un rappeur comme les autres. Chez lui, pas de référence gangster ni de quotidien dans la street, mais des émotions lâchées sans fausse pudeur. Cette nouvelle marche lui vaut un renforcement des liens avec le monde de la chanson, et l’entraine dans un cycle vertigineux de concerts et de tournées. Avec le risque de perdre pied sur sa propre existence, d’assécher ses sources d’inspiration et de voir disparaitre tout plaisir sur scène. Redoutant la peur du vide, Lomepal préfère tirer sa révérence. Fin 2019, sa tournée terminée, il appuie sur le bouton Pause, se déconnecte des réseaux sociaux, et disparait de la vie tant publique qu’artistique.

Sa chronologie s’accorde alors étrangement avec le coup d’arrêt que le monde traverse avec la pandémie de Covid. L’idée de confinement va bien à Antoine qui se pose enfin et tente de trouver des réponses à tous ses questionnements. Il apprend le piano, la guitare, les bases de l’harmonie, ce qui lui permettra de mieux faire aboutir ses idées en studio. Ça tombe bien, il se découvre une passion pour les Beatles qui lui fait remonter la barre de ses ambitions. Il pense à de nouveaux titres et ce sera sans ordinateur, avec de vrais instruments. Après les musiques, les mots lui reviennent, presque comme une évidence. La trentaine ayant sonné, le voilà qui, après avoir réglé ses problèmes de famille, tourne les dernières pages de sa jeunesse. « Y’a pas de problèmes, que des solutions » ose-t-il sur « Hasarder ». Il montre une meilleure maitrise des rapports humains bien qu’ils restent au cœur de certaines grandes énigmes (« Mauvais ordre »), affichant plus d’humilité, ce qui l’éloigne encore des clichés du rap masculin. Désormais, la vie lui permet de trouver un équilibre nouveau dans les relations amoureuses, qui confère presque à la confiance. Sur la pochette, il ose en afficher le visage, celui de la comédienne Souheila Yacoub, idéalisée en format géant, devant laquelle il se fait tout petit même si elle est loin de n’être qu’une poupée. Jeux de mots et références fusent comme des balles de ping-pong. On ne sait s’il s’est vraiment mis au sport mais on y entend du golf, du tennis, de la sueur. On y repère des clins d’œil à Marie Laforêt, Pierre Barouh ou même Nicoletta dont il cite « il est mort, le soleil » dans « Decrescendo ». Sa confiance a aussi gagné son approche artistique puisqu’il avance sans invité, sur un son balancé en groupe : guitare, basse, batterie et clavier. Pour ce qui ressemble musicalement à de la chanson française croisée au rock. Ni vraiment l’un, ni franchement l’autre, et quand même toujours du rap. De rock, il en est question sur la casquette The Strokes qu’il arbore quand il ressurgit dans une émission sur France Inter, avant de reprendre la parole sur les réseaux sociaux pour annoncer l’arrivée de « Mauvais ordre ». Le Lomepal nouveau est arrivé.

L’excellent accueil réservé à l’album le remet sur la route des concerts et des festivals où sa formule en groupe gagne en cohérence et en intensité. Alors pourquoi un tel titre ? « Le nom de l’album est un concept : chaque chanson parle d’un moment de vie, mais dans le désordre. C’est aussi l’idée que faire des mauvais choix peut t’amener au bon endroit, comme un besoin de se tromper » lâche-t-il à France info. Avancer dans le désordre mais avancer coûte que coûte. Prendre de la hauteur pour échapper au vertige du succès et remettre les pieds sur terre le moment venu. Du mauvais ordre, en attendant l’âge où tout sera vraiment en ordre.

Album : Mauvais Ordre (Pineale Prod)

Par Pascal BERTIN

Crédit photo : @lambert.davis