L’infatigable «quête du muscle»
Il suffit de franchir la porte d’un club de sport pour le constater : de plus en plus de jeunes sont attirés par la pratique de la musculation. On parle même de « bigorexie » dans les cas extrêmes où une addiction clinique à l’effort se manifeste. Mais d’où provient cette popularité croissante des salles de fitness ? Est-elle nécessairement liée à l’obsession de l’apparence chez la jeune génération ? La motivation repose-t-elle sur le regard des autres ? Et quelle ambiance règne dans ces temples du culte de l’apparence ?
Pour comprendre le raisonnement derrière l’engouement des jeunes pour le fitness, il est nécessaire d’approfondir ce qui façonne et détermine ce mode de vie. Nous avons rencontré Lucy et Raphaël, respectivement âgés de 25 et 29 ans et passionnés par cette discipline, afin de discuter des causes et des conséquences de cette passion. Ils consacrent en moyenne 6 à 7 heures par semaine à la salle de sport pour sculpter leurs corps, qui est devenu plus qu’un simple véhicule pour leur âme : c’est leur armure pour affronter le monde extérieur et jouer selon ses règles.
Le premier sujet que nous abordons est l’âge des adhérents. Lucy et Raphaël confirment que ces dernières années, la majorité des personnes qui fréquentent les salles de sport ont environ la vingtaine. C’est une bonne nouvelle ! Les jeunes générations auraient-elles pris conscience des bienfaits du sport pour maintenir leur santé ?
C’est ce que pense Raphaël, qui souligne les conséquences néfastes des modes de vie de notre époque : « Le sport a toujours été bénéfique pour la santé. Les générations précédentes avaient des emplois physiquement plus exigeants que les nôtres et n’avaient pas besoin de faire du sport en salle. Depuis la tertiarisation des emplois, pour pratiquer une activité sportive, il faut faire le choix et le vouloir. »
Sur ce point, Lucy a une théorie bien différente : « Parmi les personnes que je vois à la salle, je doute que la plupart fasse du sport pour des raisons de santé… »
Et Raphaël confirme immédiatement : « C’est vrai. Pour ma part, je n’ai pas commencé le sport dans une optique de mode de vie sain, mais plutôt pour plaire et correspondre aux normes de la société. » . La messe est dite.
Mais selon nos deux habitués, ces motivations ont leurs limites : « Il existe de nombreuses fausses croyances entourant l’idée d’un corps parfait. Si l’on demande aux filles inscrites à la salle à qui elles veulent ressembler, elles mentionnent des influenceuses de téléréalité avec des corps physiologiquement improbables, probablement obtenus grâce à la chirurgie. Ces filles-là se démoralisent généralement assez rapidement, et on ne les revoit plus », explique Lucy.
« Aujourd’hui, notre bien le plus précieux c’est notre image » – Raphaël
Mais il y a un autre facteur déterminant qui motive les pratiquants qui n’est pas sociologique, mais scientifique avec l’entrée en jeu des hormones..
En tant que sportive depuis l’enfance, Lucy affirme que les fameuses endorphines sont pour elle la première source de motivation : « Pour moi, le sport est un exutoire, un moyen de se libérer l’esprit. J’en ai besoin car cela me fait du bien ».
Et à son tour, Raphaël m’explique : « Tout a commencé pour moi quand j’étais coursier à vélo. En un an, j’ai parcouru près de 9000 km. Quand j’ai arrêté, j’ai fait une dépression, car ces endorphines me manquaient énormément. Le sport en salle est la seule chose que j’ai trouvée pour combler ce manque ».
Mais s’il y a un besoin ou un manque, cela signifie-t-il qu’il y a une dépendance ? Ni Lucy ni Raphaël ne le nient au cours de cet entretien : il existe bel et bien une dépendance à leur pratique. Selon Raphaël, cela est dû à un mélange de plusieurs facteurs psychologiques combinés aux endorphines : « Avec la musculation, on prend plaisir à se dépasser, on sait que les exercices que l’on pratique nous permettront d’avoir un corps plus attirant, de plaire. C’est cet ensemble qui crée la dépendance ».
« Avant, j’allais à la salle tous les week-ends, il m’est même arrivé de refuser des sorties. Désormais, j’ai réussi à dépasser ça et à apprécier de prendre du temps pour moi » – Lucy
Ensuite, au-delà de savoir quand se reposer, il est également essentiel de se demander où fixer ses limites. Pour soi-même, afin de ne pas dépasser ses capacités physiques et physiologiques. Car il est évident que le regard des autres joue un rôle déterminant dans la motivation inébranlable des pratiquants les plus assidus. En se confrontant constamment au regard des autres, il devient rapidement difficile de rester objectif quant à notre propre perception. « C’est très ambivalent car lorsque je me sens bien mentalement, j’arrive à être satisfaite de qui je suis. Mais j’ai toujours cette forme de dysmorphophobie. Certains jours, lorsque je me vois en photo, il m’arrive de penser que je ne suis pas assez musclée », confie Lucy.
Ces regards de personnes inconnues, pesant sur des corps parfois difficiles à habiter, contribuent souvent à la mauvaise réputation des clubs de sport. Mais les jugements et les regards sont-ils aussi présents qu’on l’imagine de l’extérieur ? Lucy nous confirme avec beaucoup d’honnêteté : « Pour moi, cela a été très difficile. La première fois que j’y suis allée, je n’ai pas pu rester. Je n’ai pas supporté l’ambiance et les regards »; « C’est pourquoi la plupart des gens viennent en groupe, c’est plus facile », ajoute Raphaël.
Récemment, un compte Instagram a vu le jour pour permettre aux membres d’une salle de sport de la région de se rencontrer et de faire plus ample connaissance. Cela soulève une question légitime : quelle est la place de la séduction au sein de ce microcosme de jeunes ? Lucy confirme qu’il règne une certaine ambiance de séduction : « Certaines filles sont là aussi pour être regardées. Les cheveux détachés, le maquillage… Ce n’est pas la tenue la plus adaptée pour faire du sport. » Et Raphaël compare volontiers cette atmosphère à celle d’une boîte de nuit : « Il y a de la musique à fond et tout le monde se regarde. C’est parfois un peu la jungle. Certains hommes, notamment, portent des regards très insistants sur les femmes. C’est probablement une tentative de se mettre en avant pour compenser un manque de confiance en soi… »
La confiance en soi. Et si c’était là le Graal de cette génération nourrie aux réseaux sociaux et à ce culte des apparences, sans lequel le bonheur ne serait qu’une utopie inaccessible?
Raphaël : @le_raphhh
Interview : @Melanie Beguier
Crédit photo : @realkafkatamura