L’éloquence ou la chorégraphie parlée

L’éloquence ou la chorégraphie parlée

Jeudi 6 avril 2023, la salle Philippe Avron est copieusement garnie pour cette deuxième finale du concours d’Éloquence organisée par le Moulin du Roc et l’Espace Culturel Leclerc. Ils sont six candidats à avoir passé le cap des sélections pour se produire sur le thème Demain.

« Je pense que ce type d’exercice devrait être obligatoire. C’est aussi un travail sur l’estime de soi »,Hélène Arnaud

« Demain », c’est maintenant ! Dans quelques minutes il va falloir y aller, écarter le rideau et se lancer sur le grand plateau vide. On devine les six candidats de la finale du concours d’Éloquence dans leurs petits souliers. C’est peut-être le moment du grand doute, celui où on se demande trivialement « ce qu’on fout là ». Marion Simonneau, la médiatrice du Moulin du Roc vient d’annoncer l’ordre de passage tiré au sort. Ce sera d’abord Imène puis Alice, Benjamin, le seul rescapé masculin, Geneviève, Haby et Romane.

Ce moment est l’aboutissement d’un processus initié quelques mois en amont. » Depuis janvier, les trente candidats âgés de 15 à 70 ans ont été accompagnés par des formateurs professionnels au cours de trois ateliers.« Ma vocation est de faire travailler des acteurs, explique Hélène Arnaud, du théâtre de l’Esquif. Ôter les gestes parasites, travailler sur les actions dramatiques. Tous les gestes doivent avoir un sens et ne pas être anecdotiques. Il s’agit de s’interroger sur la manière dont on s’adresse au public avec son corps. Au niveau de la technique de la voix, nous avons travaillé sur l’articulation et le volume. Je pense que ce type d’exercice devrait être obligatoire. C’est aussi un travail sur l’estime de soi, sur la façon dont on se représente aux autres, c’est essentiel. Prendre conscience de ce que l’on dégage. »

Romain Leroy, de l’Espace Culturel Leclerc, partenaire du concours, ajoute : « Quand on délivre un message, plus on va être droit, dans son propos et dans son corps, plus on va viser juste… Il s’agit d’enlever des artifices qui brouillent les messages. Finalement, les candidats n’ont fait que tailler des blocs bruts qui étaient déjà diamantaires. »

« Je suis plus dans l’accompagnement, pour aider les participants à aller au plus près de leur justesse. L’idée est de trouver leur petite voix intérieure », Isabelle Grosse

La petite voix intérieure

Pour plancher sur la thématique « Demain », les orateurs ont également reçu les conseils de l’écrivaine Isabelle Grosse. Le but de l’exercice est de produire un propos construit et personnel durant cinq minutes chrono. « Je ne me considère pas comme une professeure. Je suis plus dans l’accompagnement, pour aider les participants à aller au plus près de leur justesse. L’idée est de trouver leur petite voix intérieure.» Pour combler le temps imparti, le texte doit compter deux bonnes pages d’écriture qu’il est vivement recommandé de ne pas lire. Autrement dit, les candidats doivent le connaître sur le bout des doigts pour donner libre court à une interprétation enlevée.

Jour J

Le silence se fait dans la salle, la lumière sobre éclaire le plateau scénique. Les yeux des spectateurs sont rivés sur les candidats qui se dévoilent tour à tour. Beaucoup sont des membres des familles, des copains de classe venus les soutenir. Les plaidoiries sont lyriques, on imagine le plaisir d’être défendu par de tels avocats possédés par leur sujet ! Mais l’exercice est périlleux, quand le texte glisse dans un trou de mémoire et fait trébucher un candidat, un voile de gène recouvre l’assistance, on s’identifie au moment de solitude. La lumière se rallume, le jury coche stoïquement les cases de sa grille d’évaluation. Au suivant. Les propos sont tantôt personnels, tantôt poétiques ou concrets… « Demain » est servi à toutes les sauces. Et puis les cinq juges s’absentent pour parlementer. Dans les travées, chacun y va de son pronostic. Et le couperet officiel tombe : and the winner is Alice ! juste devant Geneviève. « Une prestance, un charisme évident », lâche un membre du jury. La candidate qui sort à peine de l’écrit du bac blanc de Français, termine sa journée en beauté. « Elle semble prête pour l’oral et le texte est de bon augure pour Parcoursup », calcule sa maman dans un sourire.

“L’essai“ en 2024

Douze mois ont passé depuis cette finale. Une nouvelle édition du concours d’Éloquence a eu lieu dans des conditions similaires à la salle Philippe Avron du Moulin du Roc. Le thème de cette troisième édition était « L’essai ». Une cohorte de participants âgés cette année de 17 à 66 ans, s’est lancée dans l’aventure, sortant de sa zone de confort pour se livrer au jugement populaire. 

À la question des motivations intimes, les réponses varient. Certains envisagent la dimension utilitaire qui consiste à améliorer ses compétences à l’oral en vue du bac et des études qui se profilent. D’autres voient le concours d’Éloquence comme un booster pour sortir de chez soi, pour rencontrer les autres… Quand les uns se lancent pour challenge de courir un marathon ou de sauter à l’élastique, d’autres optent pour cette épreuve singulière, formatrice et vertigineuse à bien des égards. Chapeau bas !

par @karlduquesnoy
Crédit photo : @lambertdavis