L'art de la renaissance

L’art de la renaissance

Ils n’ont pas d’argent plein les poches mais de l’or dans les mains. Vieux, moches, inutiles, les objets et matières, promis à la déchetterie ou à un usage invisible, renaissent dans leurs ateliers pour devenir uniques et singuliers. Anita Fonteneau relooke, Léonce Robineau restaure faïences et porcelaines, Chrisptophe Desnoielle, alias Rengoku, sculpte le zinc. Ils subliment tout ce qu’ils touchent par un savant dosage de talent, savoir-faire, travail minutieux, créativité et tendance.

Vous vous considérez comme artisan, artisan d’art, artiste ?

Anita : Je suis fièrement artisane, je ne me suis jamais considérée comme une artiste.

Christophe : Dans mon entreprise de couverture, je suis artisan. Mais, dès que je façonne la matière, le zinc ou le plomb, alors je me sens artiste.

Léonce : Mon métier entre dans la catégorie des métiers d’art. La profession est réglementée, répertoriée et assujettie à des obligations, comme la réversibilité ou l’authenticité.

Comment en êtes-vous arrivés à exercer cette activité ?

Anita : Au départ, j’ai fait un BTS tourisme puis j’ai basculé dans le métier d’assistante commerciale . Un jour, j’ai eu envie de repeindre un objet. Je ne savais pas comment m’y prendre ni quel produit acheter. Mon compagnon m’a ramené un dépliant sur des techniques et peintures françaises. J’ai contacté l’entreprise. Elle proposait de travailler en tant que vendeur à domicile et, comme ça, j’ai commencé dans la déco.

Léonce  : J’étais scientifique et étudiant en philosophie. Mais à rester dans un labo derrière un bureau , je me suis fait péter les yeux sous les néons. Je voulais avoir une activité manuelle. Je suis allé à Pôle Emploi pour la reconversion professionnelle et j’ai rencontré Antoine dont la mère fait de la restauration céramique . Je suis allé faire un stage dans son atelier à Angoulême. Je l’appelle « mon mentor » car elle m’a accueilli, elle a été très bienveillante. En plus, elle m’a dit que j’étais bon.   

Christophe (sculpteur) : A 14 ans, j’ai commencé une formation de couvreur. Il m’a fallu du temps pour commencer à  apprécier. J’ai travaillé dans plusieurs entreprises, comme chef d’équipe. Puis, je me suis installé à mon compte. Comme je suis un féru de culture Manga, lors du premier confinement, j’ai créé une statue de  2 mètres 70 en zinc qui a été repérée par Japan Expo à Paris. J’ai été invité à  y participer mais l’événement a été repoussé à cause du Covid. Je m’y suis rendu en 2022. J’ai eu plusieurs articles dans la Nouvelle République ou Le Monde. Cela a pris une tournure à laquelle je ne m’attendais pas du tout. Je pensais n’avoir aucun talent artistique.

Dans la réalisation“Dans mon entreprise de couverture, je suis artisan. Mais, dès que je façonne la matière, le zinc ou le plomb, alors je me sens artiste.” de vos tâches, quelle est la part du savoir-faire et celle du talent ?

Anita : moitié-moitié. Pour moi, le talent c’est de savoir harmoniser les couleurs. J’interviens dans la décoration des intérieurs. Je donne des idées pour repeindre les murs, déplacer des meubles. Dans ce cas, je suis plus décoratrice et je pense que cela relève du savoir-faire et de l’expérience. Savoir relooker un meuble, c’est plus du talent.

Christophe : Je suis un précurseur donc le savoir-faire, je l’ai inventé. Dans le bâtiment, à l’Ecole Supérieure de la Couverture d’Angers d’où je viens, on apprend l’asymétrie, les facettes dans le travail du zinc. Les harmonies ça n’existe pas. La création de statues dans cette matière, personne ne le fait.  Je crée des personnages complets. Alors, si c’est du talent ?  Peut-être.

Léonce : Dans la restauration d’art, il y a beaucoup de savoir-faire et le talent vient quand le savoir-faire ne suffit plus. J’essaie des nouveaux produits et parfois le talent c’est de créer un nouveau savoir-faire, d’avoir le même résultat mais en faisant mieux et avec plus d’aisance.J’ai d’énormes contraintes de préservation. Il faut faire super gaffe aux pièces. Je ne restaure pas sur une chose qui risque, je me compare à un dentiste.

Dans vos interventions, quelle est la part de vous, en dehors de la technique ?   

Anita : Quand je relooke des meubles pour moi, je change un peu le style, Pour un client, même s’il écoute mes conseils, c’est lui qui a la dernier mot et je respecte. L’idée c’est de montrer différentes possibilités dans mon showroom d’exposition pour qu’il s’en inspire. Parfois, je ne partage pas son goût donc je vais essayer de l’ orienter.  Parfois, au contraire, le client a de bonnes idées. Dans ce cas, j’apporte le soutien technique quand je vends la peinture.

Léonce : La seule chose que je peux mettre de moi, c’est un peu de sueur et beaucoup de patience.  Mais je ne m’amuserai pas à signer les restaurations. La meilleure des restaurations de faïences et porcelaines est celle qui ne se remarque pas. Pour des pièces plus récentes, sans valeur monétaire mais plutôt une valeur affective, le savoir-faire c’est de ne pas le dénaturer.

Lorsque vous avez un projet,  l’idée vient tout de suite?  

Anita : Pour un meuble, cela vient surtout quand je vais dans la pièce où il sera posé. Les gens qui arrivent dans mon atelier avec des photos sur leur téléphone, ce n’est pas suffisant. J’ai besoin de savoir son emplacement dans la pièce : la position par rapport aux fenêtres,  la superficie, la couleur du sol, du canapé et tout ce qui va autour.

Christophe : Quand j’imagine un nouveau projet, je me pose la question du temps. Je fais les photos de mon modèle sur un ordinateur et je crée les proportions. Et surtout je me projette sur toutes les étapes. Je suis comme ça. Mon cerveau tourne à 200 à l’heure.  

Comment évaluer votre travail et mettre un prix en face ?

Anita : J’essaie d’imaginer le nombre d’heures à passer et je le facture au prix artisan, pas au prix artiste. Parfois, je me trompe dans un sens, parfois dans l’autre. Les surprises arrivent après : le temps de démontage des portes, les réactions de la peinture sur du bois très vieux, teinté ou ciré…  Et parfois, ça roule mieux que prévu.  Notre œil professionnel remarque les détails que les clients ne voient pas.

Léonce : Quand cela va vite, quand vous trouvez la couleur rapidement, quand le décor se fait tout de suite, c’est magique. Mais 80 % du temps ce n’est pas magique ! Je suis rarement satisfait de ce que je fais mais il ne faut pas le dire aux clients. Il m’arrive, quand même, de trouver mon travail bien réussi.

Christophe: Comme je connais bien la matière, le zinc,  je sais la quantité et les coûts des feuilles dont je vais avoir besoin. Après, il faut penser le temps du ponçage, de la peinture et du façonnage. Mais j’arrive à  bien évaluer. Comme Léonce, je ne suis jamais satisfait.

“Le Saint-Graal, c’est le bouche à oreille.”

Est-ce que vous avez le sentiment que la valeur de votre travail est reconnue ?

Léonce : Non, je ne facture absolument pas tout l’effort, sinon je n’aurais pas de clients.

Anita : Je pense que suis bien par rapport aux devis.

Christophe : J’ai une entreprise. Donc la sculpture, c’est un plus mais oui.

Comment gérez-vous votre visibilité ?

Léonce : Le Saint-Graal, c’est le bouche à oreille. Dans les milieux comme les nôtres, il faut aller chercher la clientèle là où elle se trouve. A un moment, je faisais beaucoup de foires-expo mais ça draine un public trop large.  Désormais je privilégie les brocantes car il y a toujours  une faïence cassée à vendre, on y croise des armateurs des objets anciens.

Anita : Pour moi, c’est pareil.  Même si je suis sur les réseaux sociaux pour le relookage des meubles, je ne vais pas recevoir une armoire de Paris et puis la travailler dans mon atelier. J’ai plus une clientèle de proximité.

Christophe : Pour l’instant, c’est aussi le bouche à oreille. Pour obtenir plus de commandes, ou des grosses commandes, il faut que j’aie plus de visibilité. Je ne fais aucune publicité, on vient plutôt frapper à ma porte.

Aujourd’hui, est-ce que vous vous projetez sur la suite?  Christophe, vivre de la sculpture c’est un objectif  ?

Christophe : Franchement, ça fait 20 ans que fais de la couverture charpente et je suis fusillé de partout.   La suite, ce serait vraiment de garder mes ouvriers et me focaliser dessus. J’aimerais, aussi, faire des trucs de fou, des dragons géants. J’ai fait les pièces de Game of Thrones, du Seigneur des anneaux. J’ai plus de facilité à créer et fabriquer sur un univers qui me parle. Mais le défi me plaît quand c’est un monde inconnu, comme avec le guitariste d’ACDC, réalisé récemment.

Anita : Je veux développer la décoration d’escalier. J’ai un nouveau site internet dédié. L’’escalier est le meuble le plus imposant de la maison, mais il est souvent sombre, triste, dans une entrée étriquée. Ma proposition : décorer les contremarches avec de petites plaques en bois qui vont apporter de l’air, de la couleur, du motif, de la gaîté. Je commercialise des kits de décoration avec une collection de pochoirs et de peintures. Je peux aussi réaliser cette prestation à domicile. C’est un petit investissement et ça change la maison. En plus, c’est une décoration réversible. Dès qu’on s’en lasse, on décolle les plaques qui sont simplement fixées avec du scotch double-face. De plus, c’est un modèle de décoration personnalisable. Les clients peuvent s’inspirer des propositions de mon site internet et les adapter.

Léonce : J’ai un chantier personnel à côté : la restauration de ma maison.  Et c’est ce qui me plaît le plus. Professionnellement, il faudrait que je trouve un moyen de restaurer le verre. C’est une autre facette du métier car la lucidité du verre ne permet pas vraiment une restauration mais je sais que cela se fait. Si un jour je trouve le secret, ça me fera du bien.

Vous avez tous appris quelque chose de quelqu’un (un mentor), la transmission fait partie du métier ?

Anita : Je propose des ateliers et des stages aux clients qui ont envie de se lancer. La solution que je propose, c’est trois heures d’atelier pour apprendre à manipuler les produits, comment tenir un rouleau. Ça  rassure avec un petit côté ludique. On parle aussi de l’art thérapie. La peinture a déjà sauvé beaucoup de personnes de la dépression.

Léonce :Quand je serai âgé, que j’aurai plus de savoir-faire, cela se fera naturellement si un jeune veut se former. Je souhaite du courage à ceux qui veulent se lancer dans ce métier. Restaurer prend beaucoup de temps.

Lieux de rencontre : Café des arts thouars

Anita Fonteneau : mongestedeco.fr insta : @mongestedeco 

Léonce Robineau : Atelier Robineau
Christophe Desnoielle Rengoku : @Kanechris1

INTERVIEW ET TEXTE : Franck David

Crédit photo : @realkafkatamura