L’agriculture vertueuse
Le sujet qui bassine
Les évènements autour du site de Sainte Soline ont marqué les esprits et fait remonter à la surface les questions : Quelle agriculture pour demain ? Dans quel environnement ? Pour produire quoi et comment ? Sans concession, Vincent Bretagnolle, chercheur au CEBC-CNRS à Beauvoir sur Niort et Stéphane Keruel, artiste autochtone et militant écologiste, se mouillent. Les représentants des organisations agricoles ont boudé…
Les consommateurs ont un rôle énorme à jouer…Qu’ils commencent à changer leur mode d’alimentation et la transformation du modèle agricole suivra.
Petit rappel sur ce que sont les bassines ?
Vincent : Pendant l’hiver, de l’eau est pompée dans la nappe phréatique qui est constituée de multiples poches, à des profondeurs très variables, de quelques dizaines à des centaines de mètre sur le sud des Deux-Sèvres. Elle est stockée dans une retenue artificielle bâchée, sans aucun contact avec la nappe phréatique. L’eau peut, ainsi, être utilisée en été. Mais, seulement 6% des exploitants du territoire concerné ont vraiment accès à ces bassines.
Ces réservoirs ont, quand même, un impact pour les autres ?
Vincent : Oui, ils en bénéficient indirectement. Seuls les adhérents à La Coop de l’eau qui gère les bassines sont raccordés. Mais, dans l’hypothèse où l’eau est partagée entre tous, l’utilisation des bassines, par une minorité, allégerait la pression sur les nappes phréatiques en été et profiterait, donc, aux autres irrigants. Quand on cumule ces deux types de fonctionnement, ça ne représente que 10% des exploitants. Ça reste très faible
Combien de ces bassines sont envisagées ?
Vincent: Il est question de seize selon le projet. Elles se répartissent sur le pourtour du Marais Poitevin, aux alentours de Niort, puis une deuxième partie est plus à l’est, dont Sainte-Soline. Pour cette tranche de construction, une coopérative a été créée particulièrement, qui s’appelle la Coop de l’eau avec des financements de l’État, de la Région.
Quel est la mission de la Coop de l’eau, c’est une fédération agricole ?
Vincent : Ce n’est pas une coopérative au sens classique du terme. Elle a été créée uniquement pour la gestion financière et quantitative de l’eau . Elle a un statut particulier.
Stéphane : Je crois que c’est un mélange d’intérêts publics et privés.
La FNSEA est présente dans la Coop de l’eau ?
Vincent : La FNSEA c’est le syndicat majoritaire, très impliqué partout.
Stéphane : Ils sont présents dans toutes les instances de gestion de l’eau. La Coordination rurale siège aussi.
On peut très bien être en autosuffisance alimentaire en dehors du modèle productiviste
Leurs arguments pour défendre les bassines sont assez percutants. Pourtant, ils ont refusé notre invitation à débattre. Ils prétendent ne plus vouloir s’exprimer sur le sujet en ce moment. C’est important de le préciser.
Stéphane : En revanche, ils viennent dans les réunions publiques. La plupart du temps, ils restent debout sans intervenir, juste pour casser le débat. Ces réunions, ce sont des fabriques de démocratie où le micro est tendu à tout le monde, chacun est invité à prendre la parole. Mais ils préfèrent balancer des invectives plutôt qu’argumenter.
A la base, en contrepartie de l’installation de bassines, les agriculteurs devaient s’engager sur des pratiques agricoles plus vertueuses. Qu’en est-il?
Vincent : Un protocole d’accord a été signé auquel, d’ailleurs, je n’ai absolument pas participé même si j’ai été pas mal sollicité. Et ce, pour une raison d’éthique personnelle : je ne souhaite pas mélanger le rôle d’expert et celui de chercheur. Un expert, on lui demande de se prononcer dans la certitude, un chercheur, il travaille dans l’incertitude. Mais ce protocole d’accord a été signé en 2018. Il est écrit que l’accès à l’eau est, ou sera, conditionné à une certaine forme de transition agro-écologique. Quand j’ai été nommé au Conseil scientifique et technique qui accompagne la préfecture et la Chambre d’agriculture dans l’élaboration du processus, je n’avais pas lu ce document. Après lecture, je l’ai trouvé incroyablement… flou. Ce qui est, sans doute, à l’origine des problèmes car c’est une feuille de route très générale qui dit que les agriculteurs doivent faire plus et mieux pour la biodiversité, aller vers la l’agro-écologie, réduire les pesticides, aller plutôt vers l’alimentation locale. Mais rien n’était quantifié, rien n’était chiffré, aucun objectif précis. En conseil scientifique et technique, pendant deux ans, nous avons mené des batailles difficiles avec les représentants de la profession agricole. Au final, plutôt que d’avoir des engagements individuels, c’est un engagement collectif à l’échelle du territoire qui a été retenu. Ce qui fait planer le doute sur l’atteinte des objectifs pour 2025.
En attendant 2025, rien ne change dans les faits?
Vincent : Je pense qu’il y avait quand même une grosse erreur de stratégie de la part de la profession agricole, la Coop de l’eau ou la chambre d’agriculture, ou les trois à la fois. Ils auraient dû essayer de démontrer, sur les deux premiers ouvrages, que vraiment les agriculteurs allaient tenir leurs engagements. Ils ont fait exactement l’inverse .
Stéphane : Est ce que c’était une erreur ou est-ce que c’est délibéré ? Parce qu’au-dessus des agriculteurs,la spéculation sur les céréales et les pouvoirs financiers manipulent les choses. Les agriculteurs et les écologistes mènent des actions et se confrontent. Mais c’est pour le bénéfice de sociétés cotées en bourse. Les agriculteurs sont victimes du système même s’ils y participent complètement.
Mais ils ont une obligation de rendement…
Vincent : En fait, un agriculteur doit gagner sa vie mais ça ne signifie pas forcément avoir des rendements élevés. L’alternative, c’est d’avoir des charges réduites, donc des cours en pesticides et en azote plus faibles. Avec des charges inférieures, le bénéfice peut être plus élevé même avec un rendement égal ou plus faible. Les céréaliers bio, avec des récoltes beaucoup moins importantes gagnent mieux leur vie.
Des agriculteurs justifient les rendements pour pouvoir répondre à la demande alimentaire.
Vincent : On peut très bien être en autosuffisance alimentaire en dehors du modèle productiviste. Pour commencer, on réduit la consommation de viande. Ensuite, cette viande est produite localement, elle n’est pas importée d’Argentine ou de Nouvelle Zélande. Enfin, elle est produite avec de l’alimentation de pâturage. 70% de notre blé, aujourd’hui, est destiné à l’alimentation animale. Il faut réduire cette tendance. Les solutions existent mais on ne les applique pas. Il ne suffit pas de décider d’arrêter le glyphosate. La solution est plus systémique : les consommateurs ont un rôle énorme à jouer, ce sont mêmes les premiers acteurs. Qu’ils commencent à changer leur mode d’alimentation et la transformation du modèle agricole suivra.
Stéphane : Il faudrait que ce soit accompagné d’informations mais les pouvoirs publics ne le font pas. Ils semblent au service du système tel qu’il est.
Vincent : Ce ne sont pas les politiques qui inculquent un quelconque changement. Si déjà les politiques publiques n’entravaient pas les transformations, ça serait déjà bien ! Prenons la PAC (Politique Agricole Commune), elle est contraire à toutes les transitions agro-écologiques. En même temps, je suis relativement optimiste du fait de l’augmentation du coût de l’énergie. Les grandes surfaces ont un modèle basé sur des déplacements énormes de nourriture, de produits alimentaires et de produits agricoles. Du fait de l’augmentation de l’énergie, à mon avis, ce système va s’effondrer et on va aller vers plus d’alimentation locale, parce qu’elle deviendra une alimentation moins chère. Déjà, aujourd’hui, les produits en grande surface sont plus chers que ceux en vente directe. Et cet effet est durable.
D’un point de vue purement scientifique, quels risques font peser les retenues d’eau sur l’écosystème ?
Vincent : Je vais répondre en deux temps. D’abord, pendant 50 ans, ici aux abords du Marais Poitevin, on a rectifié les cours d’eau , on les a rendus plus linéaires, on a éliminé les méandres. Donc, on a accéléré le transit de l’eau vers la mer. Dans le même temps, on a supprimé toutes les prairies alluviales aux bords des cours d’eau. Elles inondaient en hiver, pendant les périodes de crues, et l’eau stagnait sans s’écouler vers la mer. Du coup, l’homme a asséché ces terres humides en les retournant. Ainsi, il pouvait planter du maïs en février et mars. C’est une opération tout à fait proactive et consciente. Parallèlement, on a supprimé les arbres qui permettent à l’eau de s’infiltrer doucement dans la nappe phréatique en hiver. Et, en plus, ils pompent l’eau jusqu’à 15 mètres de profondeur pendant les périodes de sécheresse. Ils transpirent, comme nous, et cette eau s’évapore pendant la journée ce qui provoque la rosée du matin. Un grand arbre produit jusqu’à 500 litres d’eau par jour. Puis les agriculteurs, par l’utilisation de l’azote, ont éliminé la matière organique dans les sols, à savoir l’humus. Grâce à l’argile, l’humus retient l’eau et la rend accessible aux plantes. Pour pallier 50 années de ces pratiques, on arrive avec une solution technologique, celle des bassines. Ce n’est pas une réponse fondée sur la nature mais de la technologie fabriquée de toute pièce. Sur l’efficacité du système, je ne me prononce pas, je ne suis pas hydrogéologue. Mais je peux garantir que remettre des arbres, des prairies inondables, des prairies tout court, de la matière organique dans les sols, ça va beaucoup aider l’agriculture. Donc, il faudra le faire massivement. J’essaie de travailler dans ce sens avec les 95% des agriculteurs qui n’ont pas accès à l’eau.
Pourquoi, aujourd’hui, les agriculteurs ont du mal à accepter le changement climatique?
Stéphane : Ils sont au service d’un système, soumis à la PAC qui encourage la culture du maïs à coup de subventions.
Alors que les « bios » ne sont pas aidés…
Vincent : Plusieurs études sont sorties en France et en Angleterre qui révèlent que 95% à 97% des aides vont au modèle productiviste conventionnel, donc 3 à 5% pour les modèles alternatifs. Et après, on fait semblant de s’étonner qu’ils ne fassent pas le poids. Je voudrais revenir sur le changement climatique. Je vais peut-être vous surprendre mais, pour moi, ce n’est pas la priorité du moment. Le primordial, c’est l’effondrement de la biodiversité. Le changement climatique n’est pas à l’origine des dysfonctionnements des écosystèmes. Ce sont les humains et l’utilisation de l’espace et des terres qui sont en cause. Changer les énergies fossiles en énergies renouvelables ne changera rien. En revanche, plus de biodiversité signifie stocker et capturer du bicarbonate atmosphérique pour fabriquer de l’eau et de l’air pur. La priorité, elle est là en fait.
Dix ans pour se préparer, pour atténuer, pour être un peu plus brillant ?
Vincent : Tel qu’on est parti, en 2030, on aura déjà atteint le 1,5° hors de portée. Il faut savoir qu’on est sur une trajectoire de 4° supplémentaires en 2100 en France, ça veut dire qu’à peu près 1/4 ou 1/5 du territoire national devient non viable pendant plusieurs semaines par an.
Pour la biodiversité , 80% des insectes ont déjà disparu et on en perd 1 à 2% de plus chaque année.
Nous sommes condamnés à vivre cette transition systémique, et on a intérêt à la faire de manière coopérative et collaborative.
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