La compagnie Sine Qua Non Art
Depuis 10 ans, les rochelais Christophe Béranger et Jonathan Pranlas-Descours parcourent le monde avec leurs créations chorégraphiques pluridisciplinaires. Le duo d’artistes jette un coup d’œil dans le rétro sur une décennie emplie de succès.
Vous êtes un duo de chorégraphes. Parlez-nous de votre rencontre ?
Jonathan : En 2012, nous nous sommes rencontrés alors que nous étions en tournée. Nous nous sommes rendus compte que malgré nos parcours très différents nous avions des points de vue similaires et l’envie de développer un travail engagé. Lorsque Christophe fut invité à chorégraphier pour le ballet de l’Opéra de Metz, il m’a invité comme assistant. Ce temps de création nous a conforté dans l’idée que nous avions beaucoup en commun. Nous avons alors décidé de créer notre compagnie.
Le premier chapitre de cette histoire fut Exuvie, une œuvre très plastique, non ?
Christophe : Oui. Nous étions lauréats de la Tanz Research à Cöln dont le thème était les identités solides et liquides. Exuvie met en scène de la cire travaillée sur un gros volume et fondant sur des corps. Cela a donné cette pièce improbable et exigeante qui tourne toujours. Assurément elle a initié l’endroit où nous sommes aujourd’hui : le travail sur la matière, les arts visuels et des scénographies servant le propos chorégraphique.
Dès le début, l’international vous a attiré. En quoi ces voyages alimentent votre œuvre ?
Jonathan : L’international est une appétence que nous avons tous les deux. Pour découvrir les cultures de ce vaste monde mais aussi s’en s’inspirer. En France nous avons un système bien structuré, un statut d’intermittent que la planète nous envie mais in fine tout s’est tellement normalisé avec le temps. Travailler à l’étranger nous permet de découvrir d’autres schémas qui secouent toujours. Nous y découvrons des corps au discours politique puissant mais aussi des façons de créer et diffuser. L’international vous teste à tous les niveaux : sur l’artistique, sur votre capacité à vous adapter. Et puis nous sommes des grands amoureux de l’interprète. A l’étranger nous retrouvons une urgence des corps, formés et pas formatés.
En 2014 : première reconnaissance avec Des ailleurs sans lieux. Vos impressions ?
Christophe : Pour cette pièce, la matière était la voix, la respiration. Nous avions fait le choix d’un trio avec la fabuleuse interprète I-Fang Lin. Cette création a eu une grande visibilité car nous avions gagné le concours Reconnaissance. C’est une pièce brute, un cri d’espoir, de rage, de colère. Elle représente clairement l’ADN de la compagnie : une performance qui convoque la puissance intérieure de ces interprètes.
En 2016, votre Recomposed créé pour le Ballet national du Kosovo a rempli pendant 3 jours le Palace (Paris). Une aventure assez folle que cette création, non ?
Jonathan : La commission de l’Europe nous a demandé un audit pour ce ballet. Pour nous, le meilleur audit était de passer par la case studio pour y voir évoluer toute la compagnie. Tu arrives dans un endroit encore à vif après la guerre de 1998. Les danseurs que nous avons côtoyés avaient alors fui leur pays mais aujourd’hui ils ont la farouche volonté de reconstituer l’héritage culturel dans leur ville – Pristina. Cela a donné Recomposed une partition remixée de Vivaldi. Nous étions désireux de le faire tourner en France mais le « réseau » français n’a pas compris les enjeux. C’est finalement la compagnie qui a décroché trois dates au Palace. Dates archi-complètes, sans publicité. Cette pièce a été une flamme d’espoir pour nous : créer à la marge est possible !
Donne-moi quelque chose qui ne meurt pas (2017) a marqué les esprits avec ses dizaines de couteaux. Quelle est la genèse de la pièce ?
Jonathan : 80 couteaux précisément, suspendus au-dessus des corps et qui montent vers le ciel tout le long de la pièce. C’est une scénographie qui libère l’espace pour amener vers un ailleurs. Quelle belle expérience humaine que cette pièce. On regrette qu’elle n’ait pas eu l’écho qu’elle méritait mais, à nouveau, le réseau nous attendait à un autre endroit. Ceci dit, cette pièce a eu le mérite de nous faire beaucoup réfléchir sur nos envies. Elle est même charnière car a enclenché la suite de notre parcours, avec notamment notre travail à Cuba autour du Sacre du Printemps.
Récemment vous vous êtes lancés dans une série de pièces très queer et potentiellement clivantes ?
Christophe : Oui et non. Certes il y a des théâtres qui ont interdit Nos désirs font désordre avant 16 ans mais lors de la création à Biarritz, de jeunes enfants étaient présents et ils ont aimé. La crainte de corps nus, de propos queer, ce sont des projections d’adultes. Nous cadrons tout pour éviter un éventuel conflit. Et puis nous faisons un gros travail d’accompagnement sur le terrain via des rencontres, des transmissions.
Vous êtes à l’origine d’une belle réussite rochelaise : la création au Conservatoire de danse d’un diplôme universitaire. Comment vous a t-on proposé ce défi ?
Jonathan : C’est une belle aventure qui répond à un désir commun de pédagogie. En 2018, le directeur du Conservatoire nous a demandé de relever le niveau du Jeune Ballet Atlantique alors dans une mauvaise passe. Le défi était ardu car nous sommes là sur un modèle unique : une compagnie indépendante qui chapeaute une formation de conservatoire. On a regardé ce qui se passait en France et au-delà pour penser notre modèle. Cette formation théorique et technique très complète semble ravir les étudiant-es. Comparé à 2018, ils ont été 5 fois plus nombreux à passer l’audition cette année.
Pouvez-vous nous parler de vos projets : votre nouvelle pièce, les 10 ans de la compagnie ?
O futuro e ancestral est la troisième partie d’un triptyque dont Nos désirs font désordre a été une jolie réussite. Objet performatif, il mêle art visuel et danse dans une belle proximité avec le public. La mise en corps y est assez intense : 3h de préparation, 200 kg de parpaings à mettre en place. Nous la voyons comme la clé de voûte de notre prochaine décennie.
Nos dix ans, nous les fêterons en octobre à La Rochelle, lors de deux jours de festivités. La saison qui s’annonce est celle de la déraison. Nous travaillons à Catching lions needs a thousand dogs pour 15 interprètes.
Crédit photo : Nos désirs font désordre @Xavier Léoty
Soirée Anniversaire des 10 ans de la Compagnie Sine Qua Non Art
Plus d’infos sur : facebook.com et sur www.sinequanonart.com
Interview et retranscription @Cédric Chaory