Kompromat
« Le concert est une messe, peuplée de ses fidèles, ses croyances et ses rituels »
En 2019, Rebeka Warrior et Vitalic défendaient sur Traum und Existenz une techno sombre, directement puisée dans l’underground berlinois. PLAYING / PRAYING prolonge les mêmes ambitions, sans s’y limiter. D’où l’utilisation de l’anglais, les featurings avec l’actrice Vimala Pons ou Rahim Redcar (ex-Christine and The Queens), et une flopée de tubes voués à marquer leur époque.
Avec Kompromat, ou au sein de vos autres projets, un concept sous-tend toujours vos albums. Avez-vous vite su la direction à prendre pour PLAYING / PRAYING ?
Vitalic : On a effectivement très vite senti qu’il ne fallait pas rester prisonniers des postulats de départ et être en phase avec nos vies. Il s’est passé beaucoup de choses depuis 2018, on a tous les deux changé d’état d’esprit et on avait envie de donner une nouvelle couleur à ce second opus.
Rebeka Warrior : Souvent, les concepts se dégagent d’eux-mêmes, à l’instinct. Notre direction est claire, et on l’embrasse pleinement.
Le fait d’être à deux est aussi une bonne excuse pour s’extraire de ses petites habitudes, non ?
V : C’est évident que Rebeka me pousse dans des directions que je ne prendrais pas seul. Que ce soit dans l’écriture musicale pure, avec ce que j’appelle ses « bretonneries », ou les thèmes. Sur l’album, le thème de la sexualité est abordé plusieurs fois sous un angle assez coquin, ce que je ne fais jamais en solo.
RBK : C’est aussi pour ça que je chéris les duos. On sort de sa zone de confort, il faut écouter le partenaire. J’apprends énormément sur la production à son contact. J’ai tendance à aimer les vieilleries, les plumes, le papier, les vieux synthétiseurs, et Vitalic me pousse vers l’IA, les nouveaux logiciels et le hardware de pointe.
Rebeka, ton écriture repose sur des phrases très courtes et répétées. Est-ce ainsi que viennent tes idées ou passes-tu d’abord par de longs textes que tu synthétises ensuite ?
RBK : C’est justement ça que Vitalic appelle mes « Bretonneries » (rires) ! Ce sont des boucles mélodiques entêtantes et redondantes. Cela peut aussi s’apparenter à des hymnes, des chants de stade de foot. Peu de mots, bien choisis, coupés avec une serpe. C’est mon amour des haïkus et des wakas probablement. J’écris et pense comme ça de base, mais avec le temps, je taille encore plus pour enlever des mots et ajouter du sens.
« Ce que nous recherchons, c’est la connexion et la vibration. »
Il y a chez vous une passion évidente pour les rituels, des événements que l’on associe souvent à l’amour et à la foi, deux éléments très présents dans votre musique….
V : Le concert est une messe, peuplée de ses fidèles, ses croyances et ses rituels. Au-delà de ce qui pourrait ressembler à un égo-trip, ce que nous recherchons, c’est la connexion et la vibration. Le live est progressif et commence par un a capella. Puis, c’est une longue montée : la voix douce ou caverneuse de Rebeka, les complaintes des machines, le public hypnotisé ou en pogo. C’est devenir un et s’élever ailleurs.
Il y a des passages beaucoup plus « dance » sur ce deuxième album, notamment les trois premiers morceaux. Vous souhaitiez propulser votre public sur la piste de danse avant de l’amener vers des propositions plus « arty » ?
V : Rebeka et moi sommes un mélange des deux, on a finalement fait ça sans réfléchir. On n’est pas un groupe à brainstorming, qui fait des plans sur des grands tableaux. C’est d’ailleurs pour ça que nos albums sont cohérents mais pas complètement homogènes. On se laisse aller !
Il y a, quoi qu’il arrive, davantage de lumière et de puissance sur PLAYING / PRAYING, non ?
V : Le premier album était assez opaque et tirait vers les sons de basses, alors que celui-ci est plus ouvert, avec plus de lumière et de fun.
RBK : J’avais mis de la distance sur le premier en utilisant l’allemand (langue que je ne maîtrisais pas avant) et en refusant de chanter réellement ou d’utiliser mes automatismes mélodiques. Traum und Exitenz est plus « parlé ». On n’avait plus besoin de ça sur PLAYING / PRAYING. On avait envie de jouer avec des langues que l’on maîtrise bien et de chanter des mélodies. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne reste pas un gros fond de mélancolie.
On avait envie de jouer avec des langues que l’on maîtrise bien et de chanter des mélodies.
« Lift Me Up » a quelque chose de très évident, tout en étant construit d’une étonnante façon, avec plusieurs structures. Comment est-il né ?
V : Il est arrivé en dernier… Nous voulions un titre dancefloor et plutôt pop. Il a une construction presque électro-pop avec des parties distinctes couplet/refrain, puis des montées de synthés 90’s. Ça donne un morceau catchy, ramassé et hyper énergique. En live, il est adapté avec une longue montée hypnotique au milieu.
RBK : On avait envie de faire un parallèle entre les ascenseurs et le fait de prendre son pied… Pour des raisons personnelles (rires).
« Intelligence artificielle » évoque quant à lui les expérimentations des années 1970/1980 de Laurie Anderson. C’est une artiste qui vous intéresse ?
RBK : C’est drôle que tu dises ça car on a essayé de la contacter pour un featuring sur ce disque… Ça n’a pas marché cette fois, mais je ne perds pas espoir de travailler un jour avec elle. C’est une artiste qu’on respecte énormément pour son intelligence artistique et la justesse de son propos. Des morceaux comme « Intelligence artificielle » nous rapproche de cette scène musicale expérimentale, toujours en recherche.
V : Aussi, on adore se permettre des plages plus expérimentales sur disque ou en live. Les années 1970 et 1980 ont été très prolifiques dans ce sens, et on aime bien ces ambiances à la fois belles et inquiétantes.