Jusqu’où aller par amour du sport ?

Jusqu’où aller par amour du sport ?

Amayelle Forestal avait seulement 11 ans lorsqu’elle a quitté, en août 2022, la campagne de Landrais, à une trentaine de kilomètres de La Rochelle, et son club de gymnastique rythmique et sportive (GRS), Vis ton rêve de sportif, pour le pôle espoir d’Orléans afin de vivre sa passion au plus haut niveau. Une décision prise avec sa coach Karine Sivadier – qui avait déjà vécu cette aventure avec sa propre fille – et ses parents Noémie et Slimen Forestal, qui ont tout fait pour l’accompagner dans cette aventure.

« On ne veut pas en faire une championne, on veut qu’elle s’épanouisse. Et si elle devient championne, tant mieux »

Un samedi matin pendant les vacances scolaires d’hiver. Karine Sivadier, Amayelle et Slimen Forestal arrivent ensemble à l’hôtel Maisons du monde de la rue Saint-Jean-du-Pérot à La Rochelle. Une complicité se dégage du trio. Tous les trois, à différents niveaux, sont engagés dans la même aventure. Celle qui emmènera la jeune gymnaste de 11 ans le plus loin possible dans sa passion et dans l’accomplissement de ses rêves.

En attendant que l’interview débute, Karine Sivadier montre à Amayelle la nouvelle baguette pour ruban qu’elle lui a amenée. Échange avec elle sur une blessure récente. S’enquiert de son moral. C’est grâce à elle que l’aventure a commencé. C’est en effet la coach qui a transmis la candidature de la jeune fille à la responsable technique du pôle espoir d’Orléans, Isabelle André. « J’avais identifié dans mon club deux gymnastes avec du potentiel, dont Amayelle. J’ai donc envoyé des photos et des vidéos à Isabelle André que j’avais déjà rencontrée puisque ma fille Chloé est passée par ce pôle. »

Un parcours que Karinne Sivadier connaît donc très bien, ainsi que les sacrifices que cela implique, tant pour la gymnaste que pour sa famille. « Il faut le physique, mais aussi l’envie, la maturité… et que les parents puissent accompagner, ou qu’ils soient prêts à laisser partir leur enfant. Cela faisait deux ans que je disais à ses parents qu’elle avait du potentiel. Et Amayelle avait cela en tête depuis ses 5 ans. Elle m’avait dit « Je veux faire comme Chloé ! »  » « Le souhait d’Amayelle était de toute façon le point de départ », tient à rappeler Slimen Forestal, en couvant sa fille du regard.

Le père de famille a été le premier surpris lorsque la nouvelle est tombée : « J’avoue, je n’y croyais pas. Je suis plutôt habitué aux sports où seuls les résultats comptent. Et les résultats des compétitions d’Amayelle n’étaient pas forcément les meilleurs. Alors que là, ils regardent davantage le potentiel et le côté artistique. » Du coup, sa première réaction a plutôt été : « Oh m…., il va falloir trouver une solution ! », sourit-il.

Il faut alors pour la famille Forestal prendre une décision difficile : accompagner Amayelle dans le Loiret ou la laisser partir, seule, et la confier à une famille d’accueil, le pôle d’Orléans ne disposant pas d’internat. Slimen et Noémie en discutent alors beaucoup avec Karine Sivadier, déjà passée par là avec sa propre fille. « Nous, on ne pouvait pas suivre Chloé. Si elle partait, c’était obligatoirement dans une famille d’accueil, qui reçoit souvent plusieurs gymnastes. En tant que maman, je ne me suis jamais posé de questions, on a fait comme on pouvait avec les moyens dont on disposait. On a toujours dit à Chloé : si t’es mal, on arrête et tu reviens, on lui a toujours laissé la liberté de choisir. Mais c’est sûr qu’il y a eu des dimanches soir compliqués », sourit Karine Sivadier.

Sans parler de l’aspect financier qui pèse également dans la balance. « Vivre en famille d’accueil coûtait une vingtaine d’euros par nuit. Sachant que le week-end n’était pas inclus, il fallait trouver une solution pour le samedi soir. Cela nous revenait à entre 400 et 500 euros par mois », se souvient la coach.

Le prix d’un loyer. Les calculs sont vite faits pour la famille Forestal. Après une période de doutes, la décision est prise : ils suivront Amayelle. « Clairement, l’expérience de Karine nous a aidés à prendre notre décision. On ne voulait pas qu’Amayelle parte seule, elle est jeune et trop sensible. Soit on l’accompagnait, soit elle n’y allait pas. On a donc regardé ce qui était faisable », précise Slimen Forestal.

Finies les questions et les tergiversations, « il fallait se jeter à l’eau. Après, il n’y a plus d’autre choix que de nager. Et finalement, ça se goupille plutôt bien », affirme le père. Car on peut dire que les astres sont alignés pour la famille Forestal. « En fait, cela a été une bonne opportunité pour nous aussi, raconte Slimen Forestal. Ma femme Noémie, secrétaire médicale à l’hôpital de Rochefort, avait envie de changement dans son travail. Son employeur l’a mise en relation avec l’hôpital d’Orléans, qui lui a trouvé un poste. Elle a commencé en septembre 2022, après avoir trouvé un appartement en juin. Et les mutations sont possibles chez CEDEO du groupe Saint-Gobain, où je suis commercial. On a voulu mettre notre maison en location au lieu de la vendre car on avait envie de revenir ici plus tard. Le club d’Aigrefeuille-d’Aunis accompagne financièrement Amayelle dans son projet sportif et le Comité régional de gymnastique Nouvelle-Aquitaine nous a donné une subvention de 1500 euros pour les déplacements familiaux. »

Finalement, c’est pourla sœur aînée d’Amayelle de 14 ans, Seyna, que ladécision de déménager est la plus difficile. « Seyna est contente pour sa sœur, même si elle a été un peu contrariée au début. En classe de 4e, elle ne voulait pas quitter ses amis. Je suis donc resté à Landrais avec mon aînée, et Noémie et Amayelle redescendaient deux week-ends sur trois. Au départ, on devait faire comme ça pendant deux ans, le temps que Seyna finisse le collège. Finalement, après six mois à ce rythme sans voir sa mère et sa sœur la semaine, elle a accepté de déménager durant l’été », ajoute le père, qui reconnaît que la période d’essai d’Amayelle au pôle espoir a néanmoins été une source de stress pour le reste de la famille.

Mais est-ce forcément le rôle des parents de tout sacrifier pour leurs enfants ? « On ne vit pas du tout cela comme un sacrifice. Si des enfants ont cette opportunité, c’est une chance pour eux. Ce serait égoïste de la part des parents de ne pas les accompagner. Quand tu as des enfants, tu veux qu’ils soient heureux. Et on a la chance de pouvoir le faire financièrement. C’est plus de l’adaptation que du sacrifice », soutient le père d’Amayelle.

Avec tous ces changements de vie, difficile quand même de ne pas faire peser de pression sur les fines épaules d’Amayelle, non ? « On lui a toujours dit : si elle veut arrêter, on arrête. On le fait pour lui faire plaisir, pas pour l’obliger à réussir. On ne veut pas en faire une championne, on veut qu’elle s’épanouisse. Et si elle devient championne, tant mieux », insiste son père en regardant sa fille avec tendresse.

Karine Sivadier, elle, ne regrette rien en tout cas. Sa fille Chloé a poursuivi son petit bonhomme de chemin. Après le pôle espoir d’Orléans et l’équipe de France à l’Insep (Institut national du sport, de l’expertise et de la performance), elle a enchaîné les compétitions jusqu’à une blessure et une opération du genou en octobre 2020, qui l’ont empêchée de concourir aux Jeux olympiques de Tokyo en 2021 et aux championnats du monde. « Cela a été un coup dur pour Chloé. Mais l’une de ses entraîneuses, Snejana, l’a prévenue que le club de Thiais (94) cherchait une entraîneuse. Elle a pris ce poste et continue la compétition. Fin janvier 2023, elle a été vice-championne de France Nationale A. Alors oui, on referait pareil », assure Karine Sivadier.

Et si tout s’arrête du jour au lendemain ? « Il faut savoir saisir sa chance. Et si cela ne marche pas, au moins il n’y a pas de regret à avoir, sourit Slimen Forestal, pour qui toute expérience est bonne à prendre. On a déjà beaucoup voyagé, c’est une nouvelle occasion. Là, on va quitter la campagne et découvrir la vie en ville. Il y a un an, on était loin de s’imaginer tout ça. On s’adaptera au fur et à mesure. Il n’y a pas de plan B, on verra le moment venu. La vie, c’est le plan A. On se laisse porter. »

Et aujourd’hui ?

Dans la deuxième quinzaine de mars 2023, les entraîneurs d’Amayelle ont informé ses parents, lors d’une démonstration, que la jeune fille progressait bien mais qu’il restait quelques lacunes qui pourraient l’empêcher de conserver sa place au pôle espoir d’Orléans pour l’année suivante. À l’annonce de la nouvelle, la gymnaste s’est effondrée. Et ses parents ont pris la décision d’arrêter là son expérience au pôle espoir, à la fin de l’année scolaire, le 15 juillet dernier. « On la corrigeait sans cesse, elle ne se sentait pas soutenue. Ce n’était jamais assez alors qu’elle, elle donnait tout. C’était trop de pression pour son âge et cela a commencé à lui peser, explique son père, qui n’a voulu prendre aucun risque pour la santé de sa fille. Le but, c’est qu’elle s’amuse, pas que sa passion devienne une sanction. » Après avoir eu comme premier réflexe de s’opposer à cette décision, Amayelle, qui a quand même pu participer aux championnats de France fin mai 2023 à Mulhouse, a finalement reconnu qu’elle était « soulagée que ses parents prennent la décision à sa place ».

La vie a désormais repris son cours normal. En septembre dernier, Amayelle a fait sa rentrée en 5e au collège d’Aigrefeuille-d’Aunis et continue la GRS dans son ancien club. « Elle ne vise plus l’élite désormais mais le haut niveau. Et en redescendant d’un cran, elle va pouvoir reprendre du plaisir en se faisant moins mal physiquement », sourit son père.

Malgré tout, la famille Forestal ne regrette rien. « On a eu de la chance de A à Z. À une semaine près, je validais ma mutation à Orléans. Ma femme va se réorienter et sa sœur est soulagée de ne plus partir, raconte Slimen Forestal. On s’est mis en mode pause pendant un an, psychologiquement c’était bizarre. Il était temps que cela s’arrête. »

Interview @JDelrieux

Crédit photo : @Lambert Davis