Joséphine Baker
Sa grande sœur, son modèle
Fin novembre, Joséphine Baker est revenue à la vie. Ivola Pounembetti l’a fait revivre le temps d’un seul-en-scène riche en émotions, écrit avec son complice, l’écrivain traducteur Olivier Lebleu, et mis en scène avec Karine Mauran, au théâtre La Kanopé II, à Lagord, dans l’agglomération de La Rochelle. « La Vie à l’envers de Joséphine Baker” remonte le temps et raconte la vie hors norme de cette petite fille pauvre devenue une artiste au destin extraordinaire entrée au Panthéon en novembre 2021, et dont la nouvelle passerelle de la gare de La Rochelle porte le nom depuis novembre 2022.
« On se demande comment une petite fille qui a vécu tout ce qu’elle a vécu peut devenir ensuite la femme qu’elle est devenue »
Ivola Pounembetti, que représente Joséphine Baker pour vous ?
Née d’une maman sarthoise et d’un papa centrafricain, je n’avais aucun modèle métissé. Quand on est métisse, on est soit trop blanc pour être considéré comme noir, soit trop noir pour être considéré comme blanc ; voire parfois comme un noir qui a trahi. Trouver sa place dans la société est problématique.
Vous-même avez souffert de votre métissage ?
IP : Quand j’étais au Conservatoire de Haute-Bretagne à Rennes ou à Paris, où j’ai intégré l’école du Théâtre national de Chaillot, je ne rentrais dans aucune case. On ne me donnait pas le rôle d’Ophélie dans « Hamlet », mais celui de la soubrette chez Molière. Dès qu’il s’agissait d’envisager des rôles, c’était tout de suite des rôles subalternes, je ne pouvais pas être l’héroïne de Shakespeare.
Comment avez-vous eu l’idée de cette pièce sur Joséphine Baker ?
IP : Je me baladais sur les quais de Paris et je suis tombée sur une photo d’elle, une femme noire, nue, en couverture d’un livre. Il s’agissait d’une de ses biographies. En la parcourant, j’apprends qu’une petite fille noire et pauvre vivant au fin fond des États-Unis racistes est devenue une star. Je n’avais jamais entendu parler d’elle ! Quand je me mets à lire cette biographie, j’ai l’impression qu’elle fait partie de ma famille, de découvrir une sœur. Et j’ai envie de l’interpréter tellement elle me touche. Mais je l’aime trop pour écrire le texte. Je confie donc l’écriture à Olivier Lebleu, avec qui j’ai déjà travaillé sur son texte au sujet de la girafe Zarafa, « Le Talisman de la girafe ».
Cette femme a vécu énormément de choses, comment avez-vous choisi ce que vous alliez raconter ?
Olivier Lebleu : On se dit que ce serait bien de reprendre ses propos. J’enchaîne les interviews et je me rends compte très vite que sa parole est policée, qu’on a embelli son expression pour que celle-ci soit imprimable. Elle parle un mauvais français, elle invente des mots, elle a une poésie, une inventivité, je me dis qu’il ne faut rien retoucher ! On choisit donc de n’utiliser rien qu’elle n’ait pas prononcé, et avec sa manière de parler. Et de partir de la fin de sa vie à presque 69 ans et de remonter à ses 7 ans avec des flashbacks. J’ai étudié son enfance comme avec Mike Brant sur lequel j’ai écrit une biographie, toute la destinée d’un individu s’inscrit dans son enfance. L’amour de la scène est le fruit d’un mélange d’audace et d’exhibitionnisme, cela résulte souvent d’un narcissisme défaillant, un besoin d’être aimé de tout le monde, ça marque une frustration dans l’enfance.
IP : On se demande comment une petite fille qui a vécu tout ce qu’elle a vécu peut devenir ensuite la femme qu’elle est devenue. C’est d’ailleurs Olivier Lebleu qui a trouvé le titre, « La Vie à l’envers »: c’est l’envers du décor, tout ce qu’on ne sait pas d’elle. Personne ne s’attendait à sa vie racontée à l’envers, à ce montage, et à ce que ce ne soit pas un cabaret. La ceinture de banane, c’était non ! Je trouve ça profondément insultant et c’était impossible pour moi. Ce qui m’intéressait, c’était de raconter l’histoire de la femme intime et ce qu’on ne connaissait pas d’elle : qu’elle a travaillé dès l’âge de 7 ans pour aider sa famille, qu’elle était souvent malade et qu’elle avait tout le temps froid – elle dansait pour se réchauffer – qu’elle était aussi généreuse avec les animaux car les humains n’avaient pas été bienveillants avec elle, qu’elle a adopté autant d’enfants car elle ne pouvait pas en avoir… Cette femme a vécu des choses atroces et à aucun moment elle ne s’apitoie sur son sort, elle garde sa dignité. Elle est un modèle de résilience.
OL : Cela prend tout son sens de la montrer en pleine gloire et de voir d’où elle vient, et non pas de faire du misérabilisme. Elle n’aurait jamais dû s’en sortir. C’est un être humain exceptionnel.
Ivola, si vous la rencontriez aujourd’hui, que lui diriez-vous ?
Je lui dirais : Je vous aime pour ce que vous avez été, pour m’avoir guidée, pour le cadeau que vous me faites en me donnant la chance de vous raconter et de me permettre de montrer toute la palette de mon jeu d’actrice : en colère, triste, heureuse, sensuelle, provocante, amoureuse, engagée, enfant… Je suis toutes ces femmes.
CRÉDITS
@theatrekanope2.wixsite.com
Interview @JDelrieux
Crédit photo : @StéphaneROBIN