Jacques Weber
L’inusable
Il est de ces acteurs qui laissent rarement indifférents. Gouailleur, engagé, Weber, c’est avant tout un physique, une masse qui impressionne. Autre motif d’admiration : son énergie. Inusable ? L’avenir le dira. En attendant, le voilà dans la nouvelle pièce de Pascal Rambert. Dans « Ranger », seul en scène, Jacques Weber délivre une prestation incandescente et intime à la fois. Rencontre lors de sa venue au Moulin du Roc à Niort.
La dernière fois que Weber a trusté les plateaux télé, c’était pour annoncer son soutien à Jean-Luc Mélenchon pour les présidentielles de 2022. On ne sait s’il le regrette, mais le fait d’être systématiquement (la preuve…) ramené à ce soutien lui déplait fortement. A 75 ans, celui qui se définissait encore il y a quelques années comme « un communiste pur et dur » mettrait-il un peu d’eau dans son vin de rebellion ? Rien ne l’indique. Ce qui est certain, c’est qu’à 75 ans, ce fils de bourgeois conserve une énergie de tous les diables lui permettant d’enchaîner pièce sur pièce. Mais à quoi carbure donc Jacques Weber ? La passion. Celle qui devrait tous nous animer.
Vous avez joué « Ranger » au Moulin du Roc, scène nationale de Niort, les 20 et 21 mars 2024. Pouvez-vous nous parler de cette pièce de Pascal Rambert ?
C’est on ne peut plus simple. Un homme a perdu sa femme avant que la pièce ne commence. Il a une conférence à faire dans un pays étranger, au Japon précisément. Le voilà dans sa chambre d’hôtel. Une chambre extrêmement froide, très « designée », comme il y en a beaucoup dans certains grands hôtels internationaux. Il se met à parler à une photo de sa femme, disparue il y a deux ans. On va se rendre compte ensuite que c’est peut-être la dernière fois qu’il lui parle. Il évoque sa vie, ses souvenirs. C’est bouleversant, et c’est dans la veine de ce que fait Pascal Rambert depuis des années maintenant. Il a un sens formidable d’un lyrisme très moderne. Un lyrisme humble et simple, sans démonstration. C’est la deuxième fois que je joue pour lui. La première fois, nous avions notamment joué au Palais des Papes à Avignon. Il m’a dit un jour « Je vais écrire une pièce pour toi ». Et « Ranger » est arrivé.
En quoi cette pièce est elle particulière ? Dans son écriture, sa mise en scène, dans ce qu’elle dit sur le couple, l’amour, la disparition ?
C’est une pièce légère, mais entre guillemets. Il y a des moments où on peut sourire, où l’on peut même rire. C’est un des spectacles dans lesquels j’ai joué dont je suis le plus heureux et le plus fier. Il faut quand même rappeler que Pascal Rambert est aujourd’hui l’auteur en langue française le plus joué au monde. Il est traduit dans le monde entier et est très prolifique.
Vous êtes seul sur scène. Cela demande-t-il une préparation supplémentaire ? Ressentez-vous plus de pression ?
Oui, je suis seul pendant 1h20 environ. Le décor, c’est la chambre en entier. Une chambre glacée, blanche. Avec son lit, sa table. Je n’ai pour compagnons qu’une bouteille de whisky et des médicaments. Le fait de jouer seul, c’est juste un autre type de difficulté théâtrale. Vous savez, il y a des pièces en vers, d’autres en prose, parfois en cinq actes, d’autres fois en un. Un acteur se doit de pouvoir jouer tout le répertoire. On a parfois des préférences, voire des spécialités vers lesquelles on nous ramène tout le temps. Mais un acteur doit savoir tout jouer.
Vous êtes également quelqu’un de très prolifique depuis vos débuts. En 2023, vous jouez également dans un spectacle musical (« Weber à vif ») et dans « Ruy Blas » (Victor Hugo). D’où vous vient toute cette énergie à 74 ans ?
Je ne me sens pas prolifique, même si j’exerce mon métier assez souvent, c’est vrai, parce que sinon je m’ennuie terriblement. Je ne sais plus qui disais cela mais « Le Théâtre est un endroit où tout est faux pour produire du vrai ». C’est finalement le renversement de notre réalité, où tout le vrai est devenu faux et où tout est totalement falsifié. C’est sûrement pour ça que nous sommes collectivement dans une telle merde. Mais ça, c’est un autre sujet.
Vous êtes également ce qu’on appelle un artiste engagé. Que vous inspire le monde de 2023 ?
Aujourd’hui, ça m’inspire beaucoup de méfiance. Tout d’abord, je suis de plus en plus atterré par la propension du monde à devenir de plus en plus inhumain, et à se refermer sur lui-même. On voit naître partout des tendances extrémistes, que ça soit dans notre pays ou ailleurs. La dernière élection présidentielle en Argentine est effrayante. La situation israélo-palestinienne est effroyable, de part et d’autre. Mais je me méfie dans mes déclarations, dans un monde où tout ce que vous dites est coupé en deux, voire en mille morceaux.
Regrettez-vous votre soutien médiatique à Jean-Luc Mélenchon ?
De mon côté, il m’arrive un drame. J’ai voté pour Mélenchon au premier tour de l’élection présidentielle, mais depuis, je trouve qu’il a pris des positions que je trouve absolument effrayantes et dont je me désolidarise totalement. Le problème, c’est que les gens ne le savent pas. Et je sens parfois le regard de l’autre, qui nous voit comme des espèces de diables, absolument effroyables. C’est comme si La France Insoumise était une horde de barbares épouvantables, ce qui n’est absolument pas le cas. Ce sont des gens qui réfléchissent, qui travaillent, et qui ont une vision du monde extrêmement aigüe. Mais il y a parfois des prises de paroles, entre autres, de Jean-Luc Mélenchon, qui sont inacceptables.
Lorsque vous étiez jeune, vous aviez vous aussi pris position, puisque vous faites partie des personnes qui ont refusé d’entrer à la Comédie Française comme sociétaire. Pourquoi ?
C’était il y a bien longtemps. J’avais alors eu le prix d’excellence à la sortie du Conservatoire. On m’avait naturellement proposé alors d’intégrer la Comédie Française. J’avais refusé pour des raisons plus ou moins justes. A l’époque, on était très politisé. C’était en 1971, trois années seulement après 1968. J’étais un vrai gaucho. Et à l’époque, le Français représentait la droite, et le Théâtre national populaire, la gauche. C’était bien sûr complètement idiot, mais c’était notre vision. J’étais jeune, et très radical (Rires). C’est le moins qu’on puisse dire. Il faut aussi dire que je ne supportais pas l’alternance. Je ne me voyais pas jouer un jour Hamlet, et le lendemain Brin d’Avoine ou Argan.
Aviez-vous l’esprit de troupe ?
Non, pas tout à fait. En tout cas pas tel que je subodorais qu’il pourrait être au Français. Et puis, je voulais être complètement pris par le même rôle, le jouer longtemps. Mon refus a alors été un petit scandale, et je suis parti à l’époque sur un coup de foudre suivre un autre fou qui était Robert Hossein au Théâtre populaire de Reims, sur les conseils de Jacques Villeret, mon grand ami de l’époque. C’était formidable.
Qu’est ce que vous pensez de cet immense metteur en scène qu’était Robert Hossein ?
Son œuvre cinématographique a été assez sporadique. Certains films étaient très très ratés, d’autres étaient plein de naïveté, mais avec quelque chose de très fort, et un vrai style fort intéressant.
Impossible de parler à Jacques Weber sans lui poser une question sur Pierre Brasseur, avec qui vous avez vécu à vos débuts pendant un an et demi. Que représentait-il pour vous et comment était-il au quotidien ?
Pierre Brasseur, je l’ai rencontré dans la toute première pièce où j’avais le premier rôle. Avec lui, bien sûr. J’avais 17 ans, et ça a été pour moi un événement. Sans conteste une des grandes rencontres qui ont marqué ma vie. Il ne m’a pas fait connaître que le théâtre, mais aussi la nuit parisienne. Il m’a tout fait connaître. Je me souviens qu’il avait même fait installer chez lui un petit théâtre pour pouvoir jouer. Brasseur, ça reste une rencontre indélébile dans mon existence.
Au fait, connaissez-vous la ville de Niort ?
J’ai beaucoup bougé pendant mes tournées, mais je passe dans les villes, sans m’y attarder. Niort, je connais finalement assez peu mais j’y viens avec plaisir pour jouer Ranger !
Interview @Albert_Potiron
Crédit photo : @DR