isabelle autissier PROBLÈME ABYSSAL

isabelle autissier
PROBLÈME ABYSSAL

Connue pour ses exploits en mer en devenant la première femme à réaliser le tour du monde en solitaire en 1990, Isabelle Autissier occupe depuis 15 ans la présidence de l’association WWF France (World Wide Fund for Nature). Le 26 septembre dernier, elle est venue, au Moulin du Roc à Niort, parler de ce qu’elle connaît le mieux : l’océan et le dérèglement climatique.

Pourquoi vouloir expliquer le rôle de nos océans dans la lutte contre le réchauffement climatique ? 

L’océan joue le rôle numéro un de l’ensemble de la régulation climatique de la planète puisque c’est en grande partie grâce à l’océan, et un peu aussi grâce à l’atmosphère, que se fait l’échange de températures entre les eaux chaudes des pôles, des équateurs et les eaux froides des pôles. Et c’est ça qui fait que notre planète est habitable. Sinon, il ferait 60°C à l’équateur et ferait -30°C aux pôles en permanence. Donc les Hommes auraient un petit peu de mal à vivre sur Terre, sans ce rôle de l’océan de régulateur climatique.

Vous vous êtes rendue compte de ces problèmes par votre expérience de navigatrice ou au travers de votre poste en tant que présidente de l’association WWF ? 

Pas du tout par mon expérience de navigatrice parce que malheureusement, ça ne se voit pas. L’océan, depuis l’époque préindustrielle, a gagné presque un degré. Un degré, c’est colossal, c’est monstrueux au niveau de l’océan. Vous ne voyez pas l’eau, ni plus rouge, ni plus verte, ni plus bleue parce qu’il y a un degré de plus. Donc on ne s’en rend pas compte. Moi je m’en rends compte grâce aux scientifiques parce qu’eux, ils mesurent. Ils mesurent depuis des dizaines et des dizaines d’années et donc ils ont des données historiques et grâce à elles, on voit concrètement partout sur la planète comment l’eau se réchauffe. Comment l’oxygène parvient moins bien dans les couches inférieures. Comment la taille des Gulf Stream (ndlr: courant océanique chaud partant des Bahamas et se dispersant dans l’océan Atlantique) se modifie.

Quelle est la remarque la plus flagrante quand même depuis ces 15 dernières années ? 

La remarque la plus flagrante c’est que les dégradations s’accélèrent. C’est-à-dire qu’une terre où le dérèglement climatique va se généraliser et s’amplifier, avec des moments où il y aura des sécheresses terribles ou au contraire des inondations terribles, on le voit déjà, des incendies de forêts, des dérèglements de la faune et de la flore, des moins d’oxygénation, de l’acidité de l’océan qui va tuer le corail. Tout ça ce sont des choses qu’on voit déjà, qui sont déjà en marche malheureusement et qui vont s’amplifier.

Vous connaissez très bien la côte atlantique. À moyen terme, quelles seraient les conséquences de l’élévation du niveau de la mer sur le littoral charentais ? 

Il y a un an et demi, à peu près, les élèves d’un lycée de la Rochelle devaient imaginer la Rochelle dans 100 ans. La première chose que je leur ai dit : “Ce sera avec des passerelles au premier étage”. Ca c’est sûr. On peut prendre le problème comme on veut, si l’océan va monter de plus d’un mètre. Je veux pas faire un dessin mais je pense que même à Niort la mer ne sera plus très loin. On peut mettre des digues pour 20 cm d’océan de plus mais, on peut pas mettre des digues pour un mètre de plus sur toute la côte atlantique depuis Bayonne jusqu’à Brest, ça c’est pas possible. Même si vous mettez une digue comme ça, la pression de l’eau fait que ça passe par la terre et ça ressort comme on le voit aux Pays-Bas ou comme on le voit à Venise. Ça salinifie les nappes d’eau douce donc on peut plus cultiver et on ne peut plus boire l’eau. Déjà ce qu’on ne peut plus arrêter va être compliqué à gérer, alors si en plus on aggrave les choses…

Au sein de l’association vous mobilisez aussi les pouvoirs politiques, comment sont reçus vos messages lorsque vous les alertez ?

On travaille avec les politiques parce qu’on est en démocratie. Après c’est toujours la même chose ce qu’on dit depuis 20 ans. La différence, c’est que maintenant on est reçus, on nous écoute, voire on nous demande notre avis de temps en temps. Puis, on nous dit que c’est très intéressant tout ce qu’on raconte et ça ne suit pas après, en tout cas pas assez. Je ne dis pas qu’on ne fait rien et en particulier les collectivités locales sont souvent à l’avant-garde en ce qui concerne les transports, l’isolation, etc. Donc il y a des choses qui se font. Malheureusement ça ne se fait pas à la vitesse des dégradations […] Les sociétés changent quand tout le monde change. Il faut que les pouvoirs publics nous donnent des directions avec des lois, avec des incitations fiscales. Il faut que les collectivités locales changent, il faut que les entreprises changent, il faut que les citoyens changent, sinon ça ne marchera pas. Et là évidemment on a tous intérêt à ce que ça change parce que des sociétés dans lesquelles le dérèglement climatique est avéré, ce sont des sociétés qui sont extrêmement désorganisées. Quand il faut mettre tout l’argent pour éviter les feux de forêt ou pour éviter les inondations catastrophiques, il y a moins d’argent pour les hôpitaux et pour les écoles. 

Tous les deux ans, l’association WWF France publie un rapport intitulé “Planète Vivante” qui fait un constat alarmant (la taille moyenne des populations de vertébrés sauvages ont décliné de 69% entre 1970 et 2022) ? 

Celui-ci concerne la biodiversité qui est le deuxième grand sujet que l’espèce humaine va avoir à affronter. C’est-à-dire que la vie est en train de s’éteindre autour de nous du fait de l’action humaine. […] La vie sauvage n’a plus de place pour se développer et tout ça c’est un autre désavantage parce que nous avons besoin de la nature. Nous sommes un des éléments de la nature. Nous sommes une espèce parmi des millions. On a besoin des plantes, des animaux pour se nourrir, pour avoir des pulls en coton, de la laine sur le dos. Une espèce ne peut pas exister seule.

@wwf.fr / isabelle.autissier

Interview Gwenolé Scanff

Photo : realkafkatamura