festival regard noir La plume et l’épée

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La plume et l’épée

Alors que l’édition 2023 de Regards Noirs vient de s’achever avec la venue de Max Monnehay (entre autres), retour sur notre rencontre avec Marion Guénard & Alexandra Schwartzbrod. À une génération d’écart, les deux journalistes ont investi le champ du polar: l’une présente son premier roman, l’autre le dernier volet de sa trilogie israélienne.

Pour Marion Guénard, qui réside aujourd’hui au Sénégal, l’écriture s’inscrit forcément dans un processus intime : « Ce premier roman a été le résultat de longs tâtonnements. Je viens du journalisme, avec une narration très factuelle. Mais le printemps arabe de 2011 a été un tel événement fondateur… Il m’a permis, c’est fou de le dire, de découvrir aussi qui j’étais. »

Avec son titre évocateur, « Au printemps on coupe les ailes des oiseaux » se charge d’honorer les révolutionnaires égyptiennes par le parcours de deux femmes ayant soif de liberté. Marion ajoute : « La fiction était la voie la plus puissante pour faire ressentir ce qu’a été la révolution, pour moi et pour toute une génération. D’autant plus que le régime militaire s’est chargé depuis de transformer les lieux, rénover les façades, effacer toute trace et toute personne impliquée dans les évènements. »

D’abord journaliste spécialisée dans la Défense et la vente d’armes, Alexandra Schwartzbrod avait elle aussi pris le large dans la fiction avec son roman « Koutchouk » en 2000. « J’en avais marre de ces histoires d’armes et d’hommes : Mitterrand, Dassault, Lagardère… Mon premier livre racontait la rencontre entre Flaubert et une danseuse du ventre. J’ai pris un tel plaisir à le rédiger que je me suis dit : ça y est, je ne veux plus écrire que ça. » Basée ensuite à Jérusalem, elle vit de plein fouet la seconde intifada et se demande, comme Marion plus tard, comment retranscrire une telle violence. « J’avais 40 ans, et aucune expérience dans le polar. Une amie m’a donné trois écrits de référence. Le récit policier m’a permis de mettre plus de chair, d’émotion, de vécu. »

« C’est l’immense bonheur du roman : on peut l’écrire partout, comme ici à une table de festival », ajoute-t-elle tandis que Marion acquiesce. D’autrice à lectrice, Alexandra confie que, via sa chronique littéraire dans Libération, elle « mange du polar » dès le petit-déjeuner. Marion n’est pas encore une fervente lectrice de ce format mais « après Niort, je vais m’y mettre. Je viens d’acheter plusieurs livres au festival. Ce genre offre une façon assez ludique d’écrire sur des choses qui ne sont pas forcément légères. »

S’il se nourrit de leurs connaissances et de leur imagination, leur travail englobe sans cesse des échos du réel. Alexandra : « Je piochais certains sujets dans un journal quotidien israélien édité en anglais qui parfois correspondaient pile avec ce que j’étais en train d’écrire. » Plus intrigant encore, cet homme issu de la communauté ultra-orthodoxe avec qui elle a discuté de longues heures dans le lobby d’un grand hôtel de Jérusalem. « J’avais besoin de me renseigner sur ce milieu très fermé. Je suis allé à la librairie française et on m’a mis en relation avec ce monsieur qui a accepté de me parler de son rapport aux femmes, à la religion, à la sexualité. »

« Écrire un roman est une progression permanente. Le but est d’arriver au bout. » Alexandra Schwartzbrod

Et quand leurs récits s’imaginent transposés à l’écran, le combat est encore différent. Marion jubile : « Un film ou une série inspirée de mon livre, ce serait génial, je signe tout de suite ! Mais j’ai déjà une grande satisfaction à faire surgir une image par l’écrit. » Alexandra de renchérir : « Des cinéastes m’ont déjà contacté mais ces projets sont compliqués à monter. ». Un film récent a tout de même réussi à retranscrire son activité en tant que directrice adjointe de la rédaction de Libération.

Réalisé par Thierry de Peretti et nommé pour le César de la meilleure adaptation, « Enquête sur un scandale d’État » est inspiré du livre « L’Infiltré » d’Hubert Avoine et Emmanuel Fansten, lui-même basé sur l’affaire François Thierry. En 2015, cet ex-patron de la brigade des stupéfiants avait contacté un journaliste de Libération, affirmant pouvoir incriminer un haut gradé de la police française. Dans le film, c’est Roschdy Zem qui incarne l’indic face au journaliste Pio Marmaï. Alexandra témoigne : « Le tournage a eu lieu en partie dans les locaux du journal. Des salles ont été sanctuarisées pour le matériel, la cantine était installée parmi les bureaux… Ils ont même choisi un comédien qui ressemble beaucoup au directeur de la rédaction. » Quand la fiction se replie sur la réalité… Une nouvelle piste dans ce labyrinthe de l’actualité qui ne s’arrête jamais. « Je n’aime que travailler, les vacances m’ennuient » sourit-elle.

Making of 

Lieu : Le Séchoir

Durée : 1h

Atmosphère : entre chien et loup, digne d’un polar. Le temps de notre entretien, la nuit est tombée et les derniers festivaliers ont quitté Port Boinot.

Crédits
« Les Lumières de Tel Aviv » d’Alexandra Schwartzbrod (Rivages)

« Au printemps on coupe les ailes des oiseaux » de Marion Guénard (Éditions de l’Aube)

Interview @cinecharlie

Crédit photo : @realkafkatamura