Emmanuel Zaccheo
Dans l’ombre des Bleus
Depuis plus de quinze ans, Emmanuel Zaccheo est plongé au cœur du football français. Après un parcours dans des clubs comme les Chamois Niortais et un rôle clé à la Fédération française de football (FFF), il accompagne les équipes nationales jeunes jusqu’aux Jeux olympiques. Aujourd’hui, il revient sur son rôle, ses défis et l’évolution du métier de médecin dans le football.
Comment êtes-vous arrivé dans le staff médical de l’équipe de France de Thierry Henry ?
Mon parcours a commencé par quinze ans de pratique avec les Chamois Niortais, avant de rejoindre la FFF. J’ai d’abord intégré les équipes U16 puis les U21 en futsal. J’ai accompagné les U17 jusqu’au championnat d’Europe, et lorsque les U23 se préparaient pour les JO, on m’a proposé de remplacer un médecin. À ma surprise, on m’a rapidement nommé titulaire. Cela implique six semaines intenses de préparation avant même la compétition, où il faut être pleinement opérationnel.
Comment se fait la collaboration entre le staff médical et le sélectionneur ?
C’est un équilibre à trouver. Le sélectionneur est nommé par la partie technique de la fédération, tandis que le médecin est proposé par le département médical. Il faut que la collaboration fonctionne. Heureusement, dans mon expérience, les rôles sont bien respectés. Le coach nous fait confiance, et nous avons la liberté de poser un veto médical si nécessaire. Cette confiance est essentielle pour protéger les joueurs.
Quel est le rôle du médecin dans une sélection nationale ?
Notre travail va bien au-delà des soins. Nous devons anticiper les blessures, organiser la récupération (alimentation, sommeil, bains froids), effectuer des bilans physiques et coordonner avec les podologues ou autres spécialistes. Lorsqu’un joueur se blesse, nous évaluons la durée de son indisponibilité et communiquons une date de reprise prévisionnelle. Le coach a d’ailleurs confié la gestion médicale à notre équipe, sans pression pour faire jouer un joueur non apte.
Quelles sont les différences entre le rôle de médecin en club et en sélection ?
En sélection, les rassemblements sont courts. Nous accueillons les joueurs, réalisons un état des lieux, et trions ceux aptes ou non à jouer. Si un joueur arrive blessé, nous constatons et décidons s’il doit repartir dans son club. En club, le suivi est plus approfondi, avec une continuité dans les soins. Il y a clairement une relation politique avec les clubs, car l’intérêt des sélections et des clubs peut diverger.
Comment s’organise la prise en charge d’un joueur blessé en sélection ?
Tout commence par un diagnostic clair. Si un joueur se blesse, le club doit nous fournir toutes les informations nécessaires (IRM, radios, etc.). Si la blessure nécessite une évaluation sur place, le joueur doit venir, sauf cas exceptionnel. Nous travaillons ensuite en collaboration avec le staff médical du club pour établir un protocole de soins. L’objectif est toujours le même : permettre au joueur de revenir dans les meilleures conditions.
La question de l’amour du maillot semble moins évidente chez certains joueurs aujourd’hui. Qu’en pensez-vous ?
Les joueurs sont projetés sur le devant de la scène beaucoup plus tôt qu’avant. À 20 ans, ils peuvent déjà avoir gagné des championnats majeurs, ce qui rend certains matchs internationaux moins attractifs pour eux. Cependant, l’équipe nationale reste un espace d’épanouissement pour eux. Certains joueurs trouvent un équilibre en sélection, loin de la pression des clubs. Ils redécouvrent un esprit collectif qui leur manque parfois en club.
Comment gérez-vous la logistique et la pression lors de grands tournois comme les JO ?
La logistique est titanesque : déplacements constants, coordination des soins, gestion des équipements médicaux et des repas. La charge mentale est immense. Nous devons être disponibles 24/7 pour les joueurs et le staff, tout en anticipant les besoins pour éviter les imprévus. Par exemple, lors des JO, nous avons dû jongler entre prévention, soins, et montée en puissance physique des joueurs.
Quelle est l’importance de la psychologie dans votre travail ?
Elle est essentielle. Lors des JO, nous avions une cellule psychologique à disposition. Elle n’était pas réservée qu’aux joueurs, mais aussi au staff, souvent soumis à une énorme pression. Les préparateurs mentaux jouent aussi un rôle clé, même si leur implication est plus fréquente en club qu’en sélection. Pour un joueur, être bien mentalement est aussi important que d’être en forme physiquement.
L’intelligence artificielle a-t-elle un rôle dans votre travail ?
Elle commence à s’intégrer, notamment dans l’analyse d’imageries médicales ou l’aide à la rédaction de dossiers. À terme, elle pourrait révolutionner la rééducation et le diagnostic, mais pour l’instant, son utilisation reste balbutiante. Nous participons à des congrès sur le sujet pour rester à la pointe et anticiper les évolutions futures.
L’été dernier, quatre médecins de plusieurs clubs de L1 ont été remercié alors qu’il connaissait une stabilité dans leur environnement de travail. Quels sont les défis à venir pour la médecine sportive dans le football ?
L’un des principaux défis est la prévention des blessures, notamment les lésions musculaires et ligamentaires qui restent fréquentes malgré les avancées médicales. Ensuite, il y a le suivi de la charge de travail des joueurs, car les calendriers sont de plus en plus denses. Enfin, l’évolution des protocoles de commotion cérébrale est un sujet majeur, avec de nouvelles directives à venir.
Qu’avez-vous appris en travaillant avec des joueurs et un staff de haut niveau et que retenez-vous de cette expérience des JO?
Le football révèle des personnalités variées. Certains joueurs m’ont marqué par leur humilité ou leur capacité à se dépasser. La relation de confiance que nous construisons est cruciale, car elle influence directement leur engagement et leur bien-être. Je garde en mémoire des moments précieux avec des joueurs comme Michael Olise ou Loïc Badé, mais aussi les défis quotidiens de ce métier exigeant.
C’était une aventure incroyable, mais épuisante. La satisfaction d’avoir mené les joueurs en finale sans blessures majeures était immense. Depuis, j’ai été reconduit dans mon rôle par Gérald Baticle, le nouveau sélectionneur des Espoirs. Avec cette équipe, nous préparons désormais l’Euro 2025. Le football est exigeant, mais c’est une chance unique de vivre ces moments intenses.