Catherine Breillat
L’incomprise
Une décennie après « Abus de faiblesse », récit de l’escroquerie de Christophe Rocancourt à son encontre, revoilà Catherine Breillat. Dans « L’été dernier », sorti fin 2023, elle revient vers le sujet qui la passionne depuis les années 70 : le désir. Elle a accepté de nous parler d’elle, et de son étonnant parcours.
Romancière, scénariste, actrice, et surtout réalisatrice… Depuis qu’elle est devenue majeure, l’enfant terrible du cinéma français a tout fait ou presque. Silencieuse depuis 2013, vivant désormais sur une île au large du Portugal, Catherine Breillat n’a jamais su garder sa langue dans sa poche. On se souvient d’une ou deux interviews saignantes chez Ardisson dans les années 90. Une image forte qui lui colle à la pellicule, au détriment parfois d’une reconnaissance publique et critique certes présente mais souvent trop légère. On aurait presque envie de dire « Oubliez la réalisatrice, et regardez ses films ». Le dernier en date, « L’été dernier » met en scène la diabolique Léa Drucker dans un rôle d’avocate succombant à l’interdit. L’interdit ? Une notion bien connue de Catherine Breillat, à qui nous laissons la parole.
« L’été dernier » est votre 15ème film. C’est la première fois que vous vous lancez dans l’exercice du remake. Pourquoi maintenant et pourquoi ce film danois, « Dronningen » ?
Jusqu’ici, je n’ai jamais eu les moyens d’acheter les droits pour un remake. C’est Saïd Ben Saïd, avec sa société SBS, qui m’a contactée après avoir acheté les droits. De mon côté, je n’ai trouvé aucun financeur. Aucune chaîne de télévision en clair n’a voulu mettre au pot. Les gens ont des préjugés, et financer un film de Catherine Breillat, c’est très compliqué. Saïd m’a contacté et ça a pu se faire. Ceci dit, on ne fait jamais vraiment le remake d’un film. Léa Drucker n’est pas la copie de l’actrice danoise qui jouait dans « Dronningen ». Idem pour Samuel Kirchner. Par contre, c’est vrai que j’ai utilisé un scénario que je trouvais magistral, notamment sur la partie « mensonge » du personnage principal, et comme j’avais absolument besoin de m’approprier le sujet, de le faire mien, j’ai changé le caractère des personnages et la fin. Je ne voulais pas raconter l’histoire d’une femme prédatrice qui se jetait sexuellement sur un jeune homme. Je voulais que ça soit l’inverse, et que ça soit lui qui lui fasse des avances. Mon film est donc très différent du film danois. Elle succombe à la tentation, et je trouve que c’est beaucoup plus pardonnable raconté ainsi.
Vous évoquez le pardon. Dans votre film, on ne sent pas du tout de caractère moralisateur.
Le film danois était très moralisateur. Je ne voulais pas du tout de ce côté là. Sinon, je me serais trahie. Seuls les ayatollahs sont moralisateurs. Au cinéma, on montre l’intimité des gens en gros plan mais aussi les sentiments ; c’est au spectateur d’apprécier s’il porte le blâme ou pas.
Votre image de réalisatrice et de femme est très forte. Vous a-t-elle parfois desservie ?
Je tiens d’abord à dire que mes films se sont toujours très bien vendus à l’étranger. A chaque sortie, je fais beaucoup plus d’entrées à New-York qu’à Paris. C’est important de le rappeler.
Est-il plus difficile aujourd’hui de monter des films aussi subversifs que les vôtres ou cela a-t-il toujours été compliqué ?
Aujourd’hui, j’ai l’impression que tout est moralisateur. Regardez par exemple le film adoptant le livre de Vanessa Springora. Le fait que vous employez le terme subversif me plaît beaucoup car je l’emploie également. Je ne suis pas sulfureuse, et mon œuvre n’est pas sulfureuse. Subversive, oui. Je suis subversive depuis toujours. C’est la raison pour laquelle j’ai toujours travaillé sur le sujet de l’époque : le désir. C’est le sujet, peut-être pas du siècle, mais du demi-siècle. Curieusement, quand on parle de mes films, on parle toujours de désir féminin. Même pour celui-là, alors que celui qui est désirant, c’est l’adolescent. Je m’occupe aussi depuis toujours du désir masculin. On me cantonne trop souvent à l’étiquette de réalisatrice du désir féminin depuis « Romance ».
Parlons de désir. Avant d’être réalisatrice, vous avez été comédienne. Vous aviez d’ailleurs commencé votre carrière dans « Le dernier tango à Paris » de Bernardo Bertolucci. A quel point cela a-t-il influencé la suite de votre parcours?
« Le dernier tango à Paris » doit être le deuxième film dans lequel j’ai joué. Ce film a eu une très grande influence sur ma manière de filmer, parce que Bertolucci et son chef opérateur Vittorio Storaro sont des maîtres en leur domaine. J’avais tourné 15 jours, ce qui m’avait permis de bien comprendre leur façon de filmer. Ils avaient ensuite beaucoup coupé au montage, car de nombreuses scènes ou répliques étaient grotesques, impossible à dire a priori mais qui le devenaient grâce à la chorégraphie de la mise en scène. Ceci dit, ils avaient alors une grue très très haute, ce que je n’ai évidemment pas. Mais leur façon de filmer, en ondoyant pour attraper les personnages, je l’ai pris d’eux. Je pense que « Le dernier Tango… » m’avait aussi beaucoup influencé quand j’avais fait « Tapage nocturne ». Mais plutôt dans les dialogues, qui étaient pour moi ultra féministes, à la Agnès Varda.
Comme réalisatrice, comment vous comportez-vous sur un tournage avec vos acteurs ?
Je ne leur parle quasiment pas. En tout cas, je ne leur donne jamais aucune indication psychologique. Chorégraphier tous mes plans, c’est ça, faire un film. Placer les acteurs dans le champ, penser chaque plan. Sans ça, vous faites du happening. Les acteurs vont être de profil alors que vous les vouliez dos à la caméra, par exemple. Je ne fais pas de happening, je cadre énormément. Et ça, c’est évidemment l’influence de Bertolucci. Il m’a appris beaucoup de choses.
L’apprentissage est parfois continu. Au cours de votre carrière, vous avez travaillé avec énormément de monde : Federico Fellini, Maurice Pialat, Xavier Beauvois, …
Pialat ne m’a rien appris. Maurice, c’était un éruptif. Il créait des événements sur le plateau en espérant qu’il allait se passer des choses ensuite. Je ne suis pas du tout éruptive. Je suis implacable, mais pas éruptive. Ce qui me passionne, c’est le cadre et l’émotion. Ma mise en scène, c’est quelque chose d’extrêmement dirigé, de précis. Maurice, j’ai été sur son plateau. Et je sais que ça n’est pas précis. Il faut aussi dire qu’il avait beaucoup beaucoup plus d’argent que moi pour faire ses films. Du coup, il pouvait refaire sans arrêt une scène. La tourner, encore et encore. Je n’ai jamais eu les moyens de faire ça. Si j’avais eu les moyens de Pialat, mes films seraient tous parfaits. Dans le cinéma, il faut aussi garder en tête le rapport qualité-prix. Le spectateur n’a pas à le regarder, bien sûr, mais les producteurs si.
Pour « L’été dernier… », vous avez choisi Léa Drucker comme personnage principal. Quels rapports avez-vous entretenu sur le tournage ?
C’est quelqu’un de formidable. Ce n’est un secret pour personne, j’avais écrit le scénario en pensant à Valéria Bruni-Tedeschi. Ma réputation lui a peut-être fait peur. Le fait qu’il y ait dans le film quatre scènes d’amour n’a pas dû aider, sans parler des problèmes d’ordre plus privés qu’elle rencontrait avec son propre film. Tout à coup, nous nous sommes donc retrouvés sans actrice pour le rôle principal. Saïd a pensé à Léa, l’a contacté, puis je l’ai eue au téléphone. De mon côté, j’avais des réticences. Je pensais qu’elle était très conventionnelle. C’est le contraire.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Elle est très intelligente et n’a peur de rien. Elle n’a aucun ego, ce qui fait qu’on peut la diriger presque d’une main de fer. Elle comprend tout très vite. Bien sûr qu’on se dit toujours que c’est le bon acteur ou la bonne actrice qui fait le film, mais là, j’y ai gagné. C’est incommensurable. J’avais écrit le film pour une autre actrice, mais si je l’avais fait avec elle, ça aurait été du pléonasme. A partir du moment où ça a été Léa, un éventail de possibilités s’est déployé pour le personnage car c’est un contre-emploi pour elle. Tout cela rend le film bien plus subtil.
Vous êtes née à Bressuire, dans les Deux-Sèvres. A quoi pensez-vous lorsque vous pensez à Niort ?
Cela va vous sembler bizarre, mais lorsque je pense à Niort, je pense à sa sublime bibliothèque. Je suis ravie que personne n’en ait encore fait une bibliothèque vulgarisatrice pour les cons.
Interview @Albert_Potiron
Crédit photo : @DR