Asaf AvidaN Plus d'une corde à sa voix

Asaf AvidaN
Plus d’une corde à sa voix

À la lisière du jazz, du rock, du folk et du blues, le songwriter originaire de Jérusalem façonne un imaginaire puissant, né de douleurs et de questionnements intérieurs. Il le partage sur scène avec délicatesse, d’une voix rocailleuse et singulière pour une quintessence de l’émotion à l’état brut. Le concert événement du Niort Jazz Festival 2024 !

Ses fans français l’attendaient de pied ferme. Il est de retour ! Asaf Avidan offre ses premiers concerts solos depuis plusieurs années, un événement dans la foulée de la tournée lancée en 2021 pour accompagner son album Anagnorisis paru juste avant la crise du Covid. C’est en tête d’affiche du Niort Jazz Festival 2024 que l’artiste israélien vient sur nos terres. L’occasion de retracer un parcours unique, un succès rare construit sur l’éclectisme musical – folk, rock, blues, pop –, l’amour de la scène et sur une voix qu’on n’oublie pas.

Rien n’a été simple et linéaire dans la vie d’Asaf Avidan. Né le 23 mars 1980 à Jérusalem, il grandit dans différents pays où travaillent ses parents diplomates, dont la Jamaïque pendant quelques années, puis New York. Un mode de vie qui lui ouvre les yeux et sa sensibilité au monde. « Quand on est enfant en Jamaïque, on ne remarque aucune différence entre, par exemple, un caucasien et un asiatique. C’est un peu comme ce genre de reportage ou un chien grandit avec un lion : les deux animaux ont l’habitude » confie-t-il en 2013 au site Konbini. Mais durant son enfance, il est en proie à des troubles psychologiques qui empirent au moment d’effectuer son service militaire. Libéré de ses obligations, il étudie le cinéma d’animation, y travaille un temps, puis décide de se lancer dans la musique après la séparation d’avec sa petite amie de longue date et son combat gagné sur une maladie grave.

En 2006, il sort ses premières chansons et donne quelques concerts en Israël. Dans la foulée, il monte le groupe de rock Asaf Avidan & The Mojos, dans lequel il chante, joue de la guitare et de l’harmonica. Le public parisien le découvre lors d’un concert intimiste au Nouveau Casino en 2009 où seulement 56 billets furent vendus ! Six ans plus tard, c’est dans un Zénith complet qu’il reviendra se produire. En l’espace de cinq ans et de trois albums (The Reckoning, Poor Boy / Lucky Man et Through The Gale), la formation connait un succès national puis international, figurant à l’affiche de prestigieux festivals dont Solidays et les Vieilles Charrues en France. L’aventure se termine en 2011, Asaf Avidan déclarant alors que « le désir de chacun d’essayer des nouveaux sons et des nouveaux styles paraissait incompatible avec le côté rock, blues et folk du groupe. »

L’année suivante, il se lance en solo. Son premier album paru en 2013, Different Pulses, fait connaître son son en France et en Europe. Sa notoriété grandit avec le remix de la chanson Reckoning Song réalisé par le DJ allemand Wankelmut, qui devient vite un hit en club. Le plus expérimental Gold Shadow (2015), le plus acoustique The Study on Falling (2017) et le voyageur Anagnorisis (2020)… Avidan enchaîne les albums et touche un public toujours plus large grâce à un imaginaire qui puise dans ses traumas personnels. Sa voix écorchée se fait le troublant miroir brisé de ses émotions, à classer entre Jeff Buckley, Janis Joplin et Robert Plant de Led Zeppelin. Ses textes et son expression artistique font office de thérapie tandis que ses concerts agissent comme un exutoire auprès d’un public qui se reconnaît dans ses souffrances. « My life is like a wound I scratch so I can bleed, regurgitate my words, I write so I can feed » (« Ma vie est comme une blessure que je gratte pour saigner, je régurgite mes mots, j’écris pour me nourrir ») annonçait-t-il dès l’attaque de la chanson Different Pulses. Depuis, il n’a pas dévié d’un pouce. Tout juste a-t-il appris à canaliser son trop plein d’émotions avec le temps. « Ma voix a toujours été un outil pour vraiment exprimer le plus précisément possible les émotions que je ressens. Si vous écoutez The Reckoning, il y a beaucoup de colères, de douleurs et de choses brutes. Et aujourd’hui, il y a plus de nuances de moi, au niveau des sentiments. Donc forcément, je ne peux plus utiliser ma voix de la même manière parce que je suis moi-même différent » déclarait-il en 2020 sur Franceinfo.

Libéré des carcans musicaux depuis qu’il porte sa carrière en solo, il évolue à la croisée des genres, sa voix toujours au service de ses émotions, le rendant aussi attachant qu’inclassable. « Asaf Avidan, c’est d’abord une voix. La plus singulière que l’on ait entendue depuis la disparition, en 2011, d’Amy Winehouse, dont elle partage l’équilibre instable entre séduction et failles. Ceux qui entendraient cet organe pour la première fois seraient bien en peine d’en identifier l’âge, le genre, voire l’espèce. Mama du blues confiant ses peines pendant la Grande Dépression ? Chat-huant ? Elle émane étrangement d’un gringalet israélien de 37 ans au look punkabilly, coiffé d’un compromis entre la banane et l’iroquoise » écrit de lui le quotidien Le Monde.

À 45 ans, c’est désormais l’esprit apaisé qu’il entrevoit la vie, comme en témoigne Anagnorisis, titre énigmatique qui renvoie à un terme littéraire inventé par Aristote, désignant la soudaine révélation d’un personnage. Ce moment où celui-ci se confronte à sa véritable identité une fois dévoilé l’élément caché d’une intrigue. Bref, le passage de l’ignorance à la connaissance, symbole fort d’un artiste en pleine réinvention. « J’écoutais Thom Yorke, les Fugees, David Bowie, du jazz old school, et même de la pop actuelle comme Billie Eilish ou Kanye West. Je prenais quelque chose de chacun d’entre eux et les mélangeais pour créer une jungle schizophrénique de personnages, tous issus de mon for intérieur. D’une certaine manière, ce mélange de personnages et de sons était capable de donner une image plus claire de ce que je ressentais… de qui j’étais… plus qu’une seule voix n’aurait jamais pu le faire » expliquait-il à la sortie de l’album.

Une complexité qu’il parvient à restituer seul sur scène, entouré de multiples instruments, usant de boucles en direct pour créer une sensation immersive et des interactions régulières avec le public. Pour des concerts à l’image du nom de sa tournée, Ichnology, la science de l’étude des traces fossiles laissées par les organismes vivants : une expérience intime juste inoubliable.

Par Pascal BERTIN

www.asafavidanmusic.com

Dernier album : Anagnorisis (Play Two)

En concert jeudi 27 juin, Parc Du Pré Leroy dans le cadre du Niort Jazz Festival