ALICE RAYBAUD Les nouvelles générations tendent à donner plus de place à l’amitié

ALICE RAYBAUD
Les nouvelles générations tendent à donner plus de place à l’amitié


Après avoir sorti son premier essai en janvier dernier, Alice Raybaud, journaliste au Monde était de passage à la librairie des Halles à Niort. Au programme : une présentation et un échange avec des lecteurs autour de son premier ouvrage, consacré à l’importance de l’amitié. Rencontre avec une autrice inspirante.

Bonjour Alice, merci d’avoir accepté notre invitation. Pouvez-vous nous parler de votre parcours en quelques mots ?

J’ai commencé par des études de lettres en classe préparatoire, puis j’ai poursuivi en faisant une école de journalisme à Paris puis un contrat d’apprentissage au journal Le Monde où je suis revenue quelques années plus tard et où je travaille désormais au service Campus qui traite des jeunesses et de l’enseignement supérieur.

Justement, votre premier livre, “Nos puissantes amitiés”, traite de la jeunesse et aussi de l’amitié. Quelle est sa ligne directrice, en quelques mots ?

C’est un ouvrage qui s’interroge sur la place qu’on accorde à nos amitiés, une place souvent secondaire. Et qui s’interroge sur “Comment est- ce qu’on pourrait finalement revaloriser nos relations amicales, leur donner toute leur place dans nos vies ?”

Comment avez-vous construit ce livre ?

J’ai pris une année pour le faire. J’ai commencé par un premier article et j’ai poursuivi mes recherches pendant près de cinq mois où je me suis consacrée uniquement à l’écriture de cet ouvrage.

Quelle est votre vision sur l’amitié aujourd’hui, en 2024 ?

Je pense qu’il y a un mouvement en 2024, une force qui monte autour de l’amitié, qui tend à lui donner davantage de place, d’interroger ces hiérarchies relationnelles qu’on nous apprend depuis tout petit : l’amour romantique, le couple, la famille biologique et où les relations amicales sont souvent reléguées au second plan.

Et je crois que les jeunes générations portent très bien l’envie un peu de mal interroger sur “Pourquoi est-ce qu’on nous a appris ça et en quoi est ce que ça peut être aussi parfois dommageable ?” et sur la manière de faire en sorte de recréer des constellations intimes et variées autour de soi. S’autoriser aussi à prendre des chemins différents où l’amitié peut avoir une place centrale autour de l’habitat, des enfants, du vieillir ensemble aussi. 

Je pense que c’est assez enthousiasmant, c’est presque vital de faire face à des moments très intenses comme la crise climatique, la montée des extrêmes en Europe ou même la crise économique où les amitiés peuvent être en signaux des réponses, des piliers, des bases arrières dans lesquelles se retourner et qui peuvent permettre justement de continuer à avancer. L’amitié a une force qu’on gagnerait à mettre davantage en avant. 

Est-ce que certains témoignages vous ont touchée plus que d’autres ?

Lors de mon enquête, où je suis allée à la rencontre des gens un peu partout en France pour les interroger sur la façon dont ils remettent l’amitié au centre de leur vie, il y a des témoignages qui m’ont évidemment marquée.

Ce fut le cas d’une jeune femme, Margot, alors enceinte de son deuxième enfant. Son conjoint a été hospitalisé en urgence en psychiatrie et elle s’est retrouvée seule avec un petit et une grossesse en route. Et c’est à ce moment-là que toute un cercle amical se crée autour d’elle. On l’accompagne à tous les rendez-vous liés à la grossesse, pendant l’accouchement, pour l’aider à garder le plus petit, puis après l’accouchement pour aider à garder les deux enfants. Et c’était vraiment un témoignage très frappant, qui rappelle l’expression “Il faut tout un village pour élever un enfant.”

Tous les témoignages autour de l’éducation des enfants m ‘ont beaucoup bouleversée parce qu’ils réinventent quelque chose de l’ordre du soin et du collectif, qui  permet de répondre à beaucoup d’enjeux tels que l’épuisement des mères dans les couples traditionnels, des charges domestiques et éducatives où c’est encore très déséquilibré encore aujourd’hui….

Pour rebondir sur ce que vous disiez, qu’il faut tout un village pour élever un enfant, on pourrait alors se dire que l’amitié peut être une alternative à l’image traditionnelle que l’on se fait de la famille ?

Absolument. On peut penser d’autres manières d’être en lien ensemble, de faire solidarité, que l’amitié peut être aussi un lien tout à fait valable pour construire sa vie, de “faire famille” autrement.  Je crois que l’amitié est une des pistes qui nous permet cette idée de la “famille choisie”, qui est plus émancipatrice et plus douce, tout simplement.

Avec ces crises climatiques et ces conflits que vous évoquiez plus haut, pensez-vous qu’il y a encore de la place pour l’amitié ?

Je crois qu’on en a d’autant plus besoin mais l’ensemble des crises et la manière dont les politiques publiques vont mettre en œuvre nos sociétés jouent aussi vraiment contre nos amitiés. Les sociétés contemporaines fabriquent de la solitude.

Je considère que c’est un vrai enjeu de santé publique, parce que ça crée à la fois beaucoup de problématiques liées à la santé mentale, que ce sont souvent les plus fragiles qui sont confrontés à cette solitude, mais qu’elle est surtout grandissante dans toutes les couches de la société. 

Et je crois que s’interroger sur la place que l’on donne à nos amitiés est aussi une manière collective de s’interroger sur la solitude. On peut s’interroger sur la manière de briser cette épidémie de solitude dont parlent aujourd’hui les chercheurs.

CRÉDIS :

INTERVIEW  @ELISA HUMANN

PHOTOS : DR

@raybaudalice

“Nos puissantes amitiés” d’Alice Raybaud – Editions La Découverte