Alain Willaume Entre ombre et lumière

Alain Willaume
Entre ombre et lumière

Infatigable voyageur des images, Alain Willaume invoque l’ensemble de son œuvre dans un parcours mystérieux. Son exposition « Frôlements de l’ombre » nous a embarqué du 4 novembre au 17 février à la Villa Pérochon. Nous sommes partis à sa recherche pour en savoir plus.

De son premier échange avec Patrick Delat aux rencontres d’Arles en 2019, Alain Willaume garde un souvenir ému : « Il m’a présenté la Villa Pérochon, je suis tombé amoureux de cet endroit ». Un espace qu’il décrit comme « chargé » en émotions : « J’ai construit la scénographie et le choix des images en fonction de lui, ça n’aurait jamais existé sous cette forme ailleurs. » 

L’installation de « Frôlements de l’ombre » a nécessité une grosse semaine de travail pour une dizaine de personnes et Alain remercie tout le personnel qui a joué le jeu. C’est vrai qu’en approchant de l’entrée de la Villa, on avance déjà vers un espace secret qui convient bien à notre artiste. « Il y a une différence entre le rez-de-jardin neutre et le rez-de-chaussée romantique. Pour l’exposition, j’ai tout de suite imaginé deux mondes très différents. » Un espace entre gris clair et gris foncé, en quelque sorte, pour une dualité pas seulement optique : « L’idée de départ pour bâtir la déambulation, c’est qu’il y ait un endroit en bas plutôt froid qui corresponde au ‘monde du dehors’, et à l’étage c’est le ‘refuge’ où il fait chaud. La structure de la maison ne permet pas ce changement de température, alors je me suis rattrapé en changeant complètement la lumière selon l’espace. »

Et dans la mélancolie de ces recoins s’offrent les tours du monde d’Alain : des tirages réalisés sur un papier japonais flottant de manière presque magique, des portraits de nonnes tibétaines en méditation… Un gros boulot de production, qui offre une ambiance assez inhabituelle. « En Occident, les expositions sont fortes. Au contraire, je voulais qu’on se déplace ici dans une pénombre, qu’on ait l’impression qu’un orage se prépare. Je suis très heureux d’avoir réussi à faire ça. »

L’exposition ne se donne pas à voir facilement, et pour cause : c’est un voyage intérieur que nous offre le photographe. « Patrick m’a dit : on a l’impression de se promener dans ta tête ! C’est une déambulation à l’intérieur d’une vision globale. Les photos ne sont pas sur un thème particulier. J’ai dissocié toutes les séries pour faire un nouvel assemblage ». C’est carrément un demi-siècle d’histoires qu’Alain agence ici, dans un mystère accentué par la disparité des clichés. « Ces images sont des rebondissements imaginaires. Les spectateurs se font leurs propres histoires. » Faut-il rapprocher le voyage d’une galerie des glaces aux reflets personnels ? « C’est un peu ça, ça me rappelle les trains fantômes. Une sorte de rébus géant. » L’artiste a su enrichir son périple d’une musique composée spécialement par Philippe Poirier, et qui elle aussi distingue le rez-de-chaussée du rez-de-jardin « refuge » : « Plus qu’une musique, c’est une autre lumière, une autre coloration. Pour moi, le son est toujours très important. »

Nous continuons notre traversée via une série de salles aux noms évocateurs : salle de l’abri, salle des vulnérables… avant de découvrir une zone où se trouve disposée, par terre, une flopée de petits yeux en plastique. Achetés en Inde il y a quarante ans, ils étaient destinés à être collés sur des statues. « Juste avant de revenir pour l’accrochage, j’ai retrouvé la boîte contenant tous ces yeux. J’avais fait une razzia à l’époque ! Tout à coup, c’était évident : je les ai placés au sol, et au-dessus d’eux j’ai suspendu une série de portraits de personnes avec les yeux fermés. C’est une correspondance improbable. »

« Quand on conçoit un projet comme celui de la Villa, on trouve des liens entre des choses disparates. »

Monastère tibétain. Dharamsala. Inde

Quant aux textes qui entourent « Frôlement de l’ombre », ils sont le fruit du travail avec des amis poètes tels que Gérard Haller, Henri Michaux, ou encore Wajdi Mouawad. Ce dernier lui a livré un écrit parlant d’insomnie et qui prit un sens particulier pour Alain « pendant ses nuits blanches » en plein confinement.

Des évidences que l’artiste juge inutile de surligner, au point de préconiser une « lecture intuitive de l’exposition. Même s’il reconnaît avoir beaucoup travaillé sur la feuille de salle, il admet : « Souvent, la photo pâtit des légendes qui vont avec : les gens regardent l’image, puis la légende, puis s’en vont. Comme si la lecture d’un texte accolé vidait la signification de l’image elle-même. » Ainsi, l’artiste suggère une seconde visite complémentaire : « Le spectateur qui le souhaite peut emporter avec lui un feuillet qui détaille le contexte des clichés. Il pourra le lire à la maison, puis revenir avec cette information. C’est un deuxième niveau de lecture qu’on offre, et la formule que j’ai trouvé pour ne pas polluer les photos avec des informations pragmatiques. Les images sont d’abord des énigmes. »

 Interview @cinecharlie