TikTok et les jeunes
Direction infox ?
En 5 ans à peine, le réseau social chinois TikTok est devenu l’application incontournable des adolescents du monde entier. Difficile de savoir si son utilisation massive et quotidienne va modifier leur rapport aux informations. Ce qui est certain, c’est que la plateforme propose un drôle de cocktail aux jeunes à la recherche d’informations sur ce réseau social, avant tout de divertissement.
« Conçu comme une plateforme de divertissement, TikTok propose en matière d’informations un cocktail détonnant et parfois indigeste »
« On fait un TikTok ? » La formule est désormais commune pour des milliers de Français. Depuis 2018, date de la fusion avec Musical.ly, cette application de création et de partage de vidéos ultracourtes (15 ou 60 secondes) est très plébiscitée. Certains chiffres donnent le tournis. Boostée par l’« effet confinement », TikTok continue sa progression fulgurante. En 2022, l’application totalisait ainsi 1,7 milliards d’utilisateurs actifs dans le monde. Chaque mois, plus d’un milliard de visiteurs actifs visitent le phénomène. Avec ses 7 millions de français – dont 3,4 millions de 15-24 ans – visitant chaque jour TikTok, La France n’échappe pas à cette tendance mondiale. Et sa jeunesse non plus.
Les jeunes ? La cible privilégiée de l’application. Ce sont eux qui se filment le plus au quotidien, eux encore qui partagent des points de vue et diffusent sur TikTok des informations, alimentant ainsi en contenus l’application gloutonne et générant une question essentielle : comment distinguer le vrai du fake quand on manque parfois un peu de maturité ?
Pas besoin de chercher longtemps les « fake news » sur TikTok. Il suffit de taper « Ukraine » dans le moteur de recherche pour entendre un jeune homme expliquer à ses 177.000 « followers » que l’aide américaine à l’Ukraine n’est qu’un prétexte pour blanchir de l’argent et financer le parti démocrate, avec la complicité de la plateforme de cryptomonnaies FTX. Le tout sans citer la moindre source, bien évidemment.
L’expérience confirme les résultats du rapport publié en septembre 2022 par NewsGuard, société spécialisée dans la lutte contre la désinformation. Selon l’étude, quand un utilisateur tape dans le moteur de recherche de TikTok l’un des principaux sujets d’actualité (invasion de l’Ukraine, changement climatique, vaccins contre le Covid, réforme des retraites…), près de 20 % des vidéos proposées contiennent de la « mésinformation ».
Conçu comme une plateforme de divertissement, TikTok propose en matière d’information un cocktail détonnant et parfois indigeste. Sur chaque actualité se mêlent des sketchs tournés à domicile, des partis pris d’experts parfois douteux posant devant leur bibliothèque, des vidéos sur le terrain par des témoins (par exemple sur le front en Ukraine) mais sans aucune contextualisation, ou encore des messages d’ONG. Sans oublier des décryptages par des médias – Quotidien, BFMTV, Brut, etc. – et des influenceurs reconnus, comme HugoDécrypte, reprenant les codes de la plateforme : vidéo courte, graphiques et images d’actualité surtitrées, le tout en musique.
« Mes copains de classe et moi, nous continuons à partager du contenu sans se demander si les infos sont vraies ou non »
Désormais, le réseau social chinois – qui conteste la méthodologie de NewsGuard – joue malgré lui un rôle croissant de source d’information chez les jeunes. À ceux qui pointent ses manquements, TikTok rappelle que ses règles communautaires interdisent la « désinformation portant préjudice ». Laquelle inclut les « fake news » médicales nocives, celles « visant à inciter à la haine ou à des préjugés » ou « sur des situations d’urgence et de nature à provoquer la panique », les contenus « induisant en erreur les membres de la communauté sur les élections » ou « de nature complotiste », et enfin la « contrefaçon numérique ».
Au regard de cette grille, des algorithmes passent, sans attendre de signalement, tous les contenus au tamis. Des équipes de modération interviennent en appoint, avec l’appui de partenaires spécialisés dans le « fact-checking », dont l’AFP en France. TikTok supprime un nombre croissant de contenus : presque 114 millions de vidéos au deuxième trimestre 2022, 40 % de plus qu’un an plus tôt sur la même période. La preuve que peu de monde lit les règles d’un réseau social quand il s’y inscrit. Voire personne.
Alors, que faire à part sensibiliser le plus possible les ados sur les dangers potentiels de l’application et le concept plus global de « fake news »? Taper sur TikTok ? Le réseau social, qui a encore beaucoup de trous dans la raquette, devra en tout cas s’améliorer – comme ses concurrents Meta, Google, X (ex Twitter) ou Microsoft- s’il ne veut pas être frappé au portefeuille depuis qu’il a signé le « code de bonnes pratiques renforcé contre la désinformation » publié par la Commission européenne en juin 2022 et qui prévoit des sanctions en cas de défaillance.
Tout ça ne devrait pas changer grand-chose si on en croit Rosalie, 16 ans, jeune niortaise : « Mes copains de classe et moi, nous continuons à partager du contenu sans se demander si les infos sont vraies ou non. Aujourd’hui, j’ai parfois peur de ne plus distinguer le vrai du faux sur les réseaux sociaux. Alors j’essaie de m’informer avec des médias plus traditionnels et de garder TikTok pour passer du bon temps. Le danger, c’est d’y passer trop de temps ».
CRÉDITS :
Interview et texte @Albert_Potiron
Photos : @realkafkamatura
Twitter : @tiktok_France