Pierre Piazza
La science du crime.
Dans le cadre du festival du polar « Regards Noirs », le Pilori a partagé une aventure pionnière : celle du français Alphonse Bertillon, inventeur des techniques d’investigation policières modernes. L’exposition avait pour titre « La science à la poursuite du crime » et, pour J’adore Niort, son commissaire est passé aux aveux.
Dans le bien-nommé Pilori, plus de 200 éléments judiciaires ont été exposés aux visiteurs : empreintes digitales, portraits photographiés de criminels, couvertures de journaux relatant faits divers et crimes irrésolus… comme autant de témoins de la Belle Époque « qui n’était pas si belle que ça » ajoute Pierre Piazza, commissaire en charge et maître de conférences en Science politique.
Le public n’a pas eu froid aux yeux : « L’inauguration s’est bien passée, on voit que la thématique intéresse. J’ai également fait une conférence au Pavillon Grappelli, face à une salle remplie. On sent un vrai engouement, proche du polar. »
Héros de l’exposition, Alphonse Bertillon est un officier de police né en 1853 qui vit dans la photographie naissante une opportunité de « figer » les scènes de crime. Empreintes, sang… les traces habituelles n’échappent plus à la sagacité du criminologue. « L’exposition offre un concentré d’informations sur Bertillon, mais il s’agit plutôt de mettre en avant les enjeux autour de ses inventions. »
Précurseur, Bertillon l’était à plus d’un titre quand il développa la première méthode fiable d’identification des personnes, et notamment le fameux « mugshot » : ce portrait de face et de profil qu’il décrit dans son ouvrage « La Photographie judiciaire » en 1890. « Bertillon offre une description mathématique du visage. Si on ajoute à cela la mesure d’autres stigmates corporels, c’est la première fois que la police peut identifier avec certitude un individu. »
Dans toute la France, on « embertillonne » les délinquants puis les opposants politiques ou anarchistes, telle la fameuse Bande à Bonnot. Bertillon meurt à l’aube de la Première Guerre Mondiale, mais sa méthode est déjà exportée au niveau international. « Des policiers du monde entier sont venus à Paris pour apprendre puis appliquer le ‘bertillonnage’, signant les débuts d’Interpol. »
Féru de technique, on interroge Pierre : comment aborder ces connaissances scientifiques avec le grand public ? « Pour une exposition, il faut présenter les choses autrement que dans un livre. Ici nous expliquons un processus grâce à des objets, dont certains sont issus de ma collection personnelle. » Pierre en connaît évidemment un rayon, ce qui lui permit d’être conseiller historique pour Canal+ sur les deux saisons de la série « Paris Police » (1900 & 1905) : « J’ai aidé à reconstituer l’atelier de Bertillon et je joue même le petit rôle d’un de ses assistants ! ».
Pédagogue, Pierre l’est doublement car il fait partie de l’association CriminoCorpus qui offre gratuitement en ligne bibliographies, enquêtes, archives… et il anime une chaîne YouTube nommée « Polars et Histoire ». Dans ses modules de 30 minutes, il dialogue avec un auteur qui explicite son rapport à l’Histoire. « On le filme dans un lieu singulier ayant un rapport avec son œuvre, comme par exemple des archives nationales. Cela ouvre la discussion : comment l’auteur se documente-t-il ? Comment l’articulation avec la vérité historique influence sa façon d’écrire ? » Parmi ses invités, Pierre cite Audrey Brière, Antoine Albertini et le thouarsais Frédéric Bodin (journaliste de profession, on lui doit la série des « Meurtres à Niort »).
La dernière étape de l’exposition est l’occasion d’évoquer les débats suscités par le bertillonnage : « La police collecte-t-elle trop d’informations ? Cette démarche est-elle attentatoire à la liberté, à la vie privée, à la présomption d’innocence ? À qui appartiennent véritablement ces données sensibles : la police ou les individus ? » Des questions brûlantes et très actuelles.
« Tout ce qu’a creusé Bertillon, le développement de la science et de ses techniques permet de le prolonger aujourd’hui. L’Intelligence Artificielle recoupe déjà ces données. À partir de millions d’informations, l’ordinateur peut établir des analyses inédites en termes de résolution d’enquête ou de rapprochements entre personnes. À terme, on pourra comparer des traces infinitésimales ou incomplètes. «
Nous terminons l’entretien avec Pierre Piazza en tant qu’auteur, pour évoquer son dernier ouvrage : « Meurtres à la une, le quotidien du crime à Paris en 1900 » : « J’y retrace 20 enquêtes via la presse de l’époque. Le grand tirage se développait énormément et les journaux satiriques étaient parfois très violents à l’égard de Bertillon. » Un siècle après, les média sont-ils plus tendres ? Le commissaire nous rassure légèrement : « À la Belle Époque, Paris était très criminogène… Plus que maintenant. »
Interview @cinecharlie
Photos @Thierry Mathé @Pierre Piazza