
Melody Gardot
La diva du jazz
Une ouverture à tous les continents, une lumière pop dans ses mélodies… Tels sont quelques uns des secrets de la réussite de la plus parisienne des artistes américaines de jazz. Le tout animé d’un caractère en acier trempé qui lui a permis de transformer les épreuves de la vie en forces nouvelles. Le concert événement du Niort Jazz Festival.

« Je ne suis pas quelqu’un qui s’impose des limites; ce que j’aime, c’est la musique et les collaborations » expliquait Melody Gardot au micro de France Culture en 2021.
Merci à l’artiste américaine d’avoir résumé pour nous en une phrase toute l’essence de sa démarche artistique depuis ses débuts en 2005.
Avec son sixième album paru ce printemps, l’auteure-compositrice interprète confirme qu’elle mène une vie intense en dehors de sa propre discographie, qui passe par des échanges permanents avec des cultures de tous horizons, une place importante accordée à la scène, et une curiosité insatiable qui la mène à toujours plus d’expériences, en particulier dans cette France qu’elle a – et qui l’a – adoptée.
Sa carrière souvent remise en perspective et le recul qu’elle s’impose entre chaque projet, Melody Gardot les tient d’un événement qui a fait basculer sa vie, au propre comme au figuré.
En 2003, elle n’a que 18 ans quand un chauffard brûle un feu, puis la renverse alors qu’elle circule en bicyclette. Victime de multiples traumatismes, paralysée de la taille aux pieds, la voilà coincée une longue année à l’hôpital, avant d’entamer une rééducation. Pour l’aider à s’en relever, un médecin lui conseille de suivre une thérapie par la musique. Celle qui chantait jusque-là en amateur dans des bars de la ville de Philadelphie où elle a grandi, envisage sa vie et son art avec un regard neuf. Contrainte pour des raisons physiques d’abandonner le piano, elle apprend la guitare durant sa convalescence et se met à composer. Ainsi naissent six chansons qu’elle enregistre, qui finissent sur Some Lessons – The Bedroom Lessons, un EP paru en 2005.

Les encouragements de la critique lui permettent de décrocher des concerts dans sa ville et attirent les fines oreilles du légendaire label de jazz Verve, qui la signe dans la foulée. Après le miracle du retour à la vie, Melody connaît celui d’une carrière professionnelle qui s’ouvre à elle.
Ecrit et composé par ses soins, l’album Worrisome Heart paraît en 2008, une fois encore couronné d’un succès tant critique que public, et suivi de concerts. Rebelote un an plus tard avec My One And Only Thrill, sur lequel elle livre une magnifique reprise du standard Over The Rainbow.

Parmi les éloges reçus, les comparaisons vont bon train, avec Norah Jones et Madeleine Peyroux, mais aussi avec Joni Mitchell, Laura Nyro ou Nina Simone, autant de signaux reçus sur sa volonté de ne pas voir l’étiquette jazz à jamais collée sur le front. Aux ambiances jazzy nocturnes qu’elle affectionne, Melody ajoute un talent pour les récits introspectifs et les mélodies pop qui promettent déjà de toucher un large public.
Au printemps 2012, son troisième album, The Absence, se teinte d’autres passions ramenées de ses voyages. Une touche latine parfaitement maîtrisée entraîne les chansons dans des rythmes samba, tango, bossa nova ou calypso. On vole ainsi du Brésil à Lisbonne (où elle passa six mois en 2011) en passant par Buenos Aires, avec une escale par les Caraïbes, pour un disque une nouvelle fois entièrement signé Gardot.
Nouveau changement de cap sur Currency of Man, où l’artiste retourne à de chaudes racines des années 70 comme bases de ses chansons (soul, funk, gospel et pop West Coast) concoctées par un solide gang de musiciens de Los Angeles. Côté textes, elle pose cette fois un regard aiguisé sur le monde, quand elle aborde par exemple l’injustice des bavures policières ou des crimes racistes.
Atteinte de la même frénésie voyageuse qu’autrefois sa mère photographe, Melody s’éprend peu à peu de l’Europe. Après Lisbonne, elle s’installe un temps en Espagne, flashe sur Paris, elle qui a repris Barbara, Juliette Gréco, Jacques Brel et Serge Gainsbourg, et collaboré avec Eddy Mitchell, M, et Baptiste Trotignon. Pour Live in Europe, son premier disque live, elle remercie le Vieux continent en réunissant des extraits de concerts donnés de 2012 à 2016.
Après cinq années d’attente pour ses fans, elle revient en rendant hommage à notre capitale où elle s’est offert un pied-à-terre. Parue à l’automne 2020, soit quelques mois après l’apparition de la pandémie de Covid-19, sa chanson From Paris with Love n’aurait pu voir le jour si Melody était du genre à baisser les bras face aux aléas du destin.
Comme elle l’a déjà démontré, Melody y a une nouvelle fois puisé une énergie rare qui lui permet de se réinventer. Confinée à Paris, elle en a profité pour réaliser un casting via les réseaux sociaux et produire ce titre avec une soixantaine de musiciens philharmoniques aux quatre coins du monde.

Elle entend non seulement soutenir ces artistes alors au chômage forcé, mais aussi les soignants en leur reversant les bénéfices de la chanson. « On a créé un morceau à ce moment-là pour essayer de se rassembler, parce qu’on se sentait isolés, avec moins de câlins, d’occasions de rire… Le grand problème avec l’être humain est qu’on a envie de changer mais lorsqu’on entre dans nos vies pour nous imposer le changement, on se sent comme dans une prison » explique-t-elle alors à France Culture.
Dans la foulée sort Sunset in the Blue, un album où elle semble opérer la somme de ses influences tout en associant ses compositions à des reprises, dont celle du mythique Moon River d’Henry Mancini.

Une œuvre ambitieuse par son approche pop du jazz, universelle par son chant qui alterne anglais, portugais et français. En dépit des obstacles de cette période si spéciale, elle y signe un duo avec Sting sur Little Something. « Ça a pris des mois et on ne s’est jamais croisés. Quand c’est arrivé, c’était en Toscane. On a chanté ensemble et on a vu que ça fonctionnait parfaitement. C’était amusant et vraiment un rêve car j’écoute Sting depuis que je suis toute petite. C’est un gentleman et, en tant qu’écrivaine, je trouve que c’est un génie dans la façon dont il raconte des histoires » explique-t-elle alors au site Pure Charts. Elle se paie même le luxe d’une édition augmentée sur laquelle résonne la trompette d’Ibrahim Maalouf.
Seule ombre au tableau, l’impossibilité pour Melody de monter sur scène pour partager son petit dernier avec le public. La connaissant, c’était reculer pour mieux sauter. Non seulement 2022 l’a vue repartir en tournée mais son insatiable appétit de chansons lui permet d’à nouveau combler ses fans avec un sixième album.
L’Américaine parvient encore à surprendre puisqu’il est cosigné avec le pianiste franco-brésilien Philippe Powell. Intitulé Entre Eux Deux, elle y déclare sa flamme à sa ville d’adoption, Paris, et à la culture française, revenant à une sensibilité jazz et à une écriture profondément intimiste. « À la fin de l’épidémie, on aura envie de se rejoindre, de prendre nos proches dans nos bras » prédisait-elle fin 2020 sur France Inter. Un vœu qu’elle réalise enfin en retrouvant tous ses fans sur les routes de sa tournée.
Crédits :
Album : Entre Eux Deux (Decca / Universal)