Julien doré
Des reprises de haute volée
Avec son dernier album, Imposteur, Julien Doré revient à l’exercice dans lequel il excelle et qui l’a fait exploser à la télévision : la reprise. Une façon de se reconnecter avec la bande-son de son enfance, pour une réflexion plus adulte qu’il n’y paraît.
On pourrait croire à un retour en arrière mais il n’en est rien. Plutôt un plaisir régressif sublimé par le temps. Pour son sixième album, celui que la France a découvert sur le petit écran en 2007 revient à la reprise, lui que la victoire dans l’émission de téléréalité Nouvelle Star a sorti de l’anonymat pour devenir l’un des grands de la pop française. Réunis sous le titre « Imposteur », les dix-sept titres qu’il s’accapare naviguent entre classiques qu’il affectionne (« Moi… Lolita » d’Alizée, « Mourir sur scène » de Dalida) et incursions à tous les étages de la chanson française : « Toutes les femmes de ta vie » de L5, « Pourvu qu’elles soient douces » de Mylène Farmer, « Les démons de minuit » d’Images, « Pull Marine » d’Isabelle Adjani, « Les sunlights des tropiques » de Gilbert Montagné… Une façon de renouer avec l’insouciance de sa jeunesse à l’heure du passage de la quarantaine, accompagné de quelques invités de luxe, dont Sharon Stone, Francis Cabrel et Hélène Ségara.
D’où vient cette envie de revenir à la reprise ? Comme un retour aux sources ?
D’abord, je n’ai jamais senti le besoin de me détacher de ce souvenir qui est toujours resté précieux, comme une naissance, un accord soudain avec les autres que je n’arrivais pas à avoir dans ma vie sociale. J’avais le sentiment que d’un coup, j’étais écouté pour ce que je faisais, que j’étais regardé pour ce que j’étais. Sur l’album précédent, « Aimée », et la tournée qui a suivi, j’avais le sentiment d’avoir vraiment beaucoup dit sur mon rapport à l’époque et la notion de transmission. Que ce soit les chansons « Nous », « La Fièvre » ou « Barracuda », chacune pouvait être destinée à l’enfant que je rêvais d’avoir. Cet album porte le prénom de ma grand-mère et de ma mère. Mais pendant la tournée qui suit, je les perds toutes les deux et je deviens papa. Quelque chose se termine. Je me dis que c’est le moment de regarder en arrière et de renouer avec cette nostalgie qui me donne le sourire dans une période où je ne me sens pas du tout capable de repartir en écriture et de nourrir des chansons d’un propos. Ce bol d’air dont j’ai besoin en tant qu’homme devenu papa, mais orphelin des valeurs et des piliers maternels, m’incite à me souvenir de cette période-là. C’est comme ça que je pars sur ce projet sans savoir si j’irai au bout. J’en parle à Martin, le coréalisateur du disque, et lui rends visite dans les studios de la Fabrique où j’avais enregistré « Løve », le premier album où mon écriture et ma composition ont vraiment trouvé leur place. Je me sens bien là-bas. J’y suis allé, on a essayé, et tout part de là.
« C’était le moment de renouer avec cette nostalgie qui donne le sourire »
Comment s’est fait le choix des titres ?
Plus long que le travail sur la musique, il a fallu trouver les points d’ancrage suffisamment forts des chansons dans mon histoire d’homme, plus que d’artiste d’ailleurs, pour que tout ça ait un sens. Et en commençant à les chercher, certaines chansons restent comme une évidence, d’autres s’effacent. C’est comme ça que petit à petit, l’album a pris forme de façon assez naturelle.
Est-ce un bon résumé de dire que tu as passé des épreuves de l’âge adulte en renouant avec les musiques de ta jeunesse ?
Exactement, d’autant qu’elles s’inscrivent entre l’enfance, l’adolescence et l’âge adulte, comme « Mourir sur scène » ou « Moi… Lolita ». Et côtoient des chansons plus récentes, des repères forts dans ma construction d’homme, au sens de quelqu’un qui écoutait de la musique plus qu’il ne pensait un jour en faire. C’est comme ça que ces chansons ont fini par rester.
Je voulais aussi convoquer une nostalgie qui ne soit pas un poison, qui ne soit pas nocive. Dans notre monde, on fait de plus en plus croire aux gens, surtout d’un point de vue politique d’ailleurs, que tout irait mieux si on arrivait à retrouver les repères façon « c’était mieux avant », à les remettre en place aujourd’hui politiquement. Ce trompe-l’œil de la nostalgie est un venin profond, terrible pour les sociétés. Parfois, malheureusement, il fonctionne à travers les bulletins de vote. Je voulais une forme de nostalgie qui ne soit pas comprise sur le mode « c’était mieux avant, quand je chantais les chansons des autres », mais juste de dire que cette nostalgie-là me donne le sourire en ravivant des souvenirs.
C’était aussi la possibilité de parler du syndrome de l’imposture, pas seulement en musique, celui qu’on a toutes et tous dans nos vies aujourd’hui et encore plus dans ce monde qui se met à avoir tellement peur de l’instant présent qu’il culpabilise les gens en permanence en leur disant qu’ils n’ont pas le droit de vivre ce qu’ils vivent, qu’ils n’ont pas le droit d’espérer mieux.
« Si j’ai repris ces chansons, c’est parce que je les aime »
Tu donnes l’impression de t’approprier encore plus les chansons, quel est ton secret ?
Le côté jouissif de la reprise, c’est de pouvoir casser la temporalité. En revisitant une chanson que j’avais déjà revisitée, comme par exemple « Moi… Lolita », je casse encore plus le rapport au temps. C’est ce que j’appuie visuellement dans le clip de « Pourvu qu’elles soient douces » en plaçant un petit logo « En direct » et un bandeau qui invite à envoyer un texto. Demander à interagir en direct dans un clip que l’on peut voir potentiellement dans un an, c’est aussi casser le rapport au temps, tout comme changer d’apparence physique dans ce clip en une fraction de seconde, une fois en portant les cheveux longs, une autre avec une perruque. Briser ce rapport au temps m’intéresse.
Tout comme casser les barrières entre bon et mauvais goût ?
Depuis mes cinq années passées aux Beaux-Arts et les dix-sept d’une carrière durant laquelle j’ai parlé de moi et de ma musique dans les médias, je me suis rendu compte que j’avais la même façon de m’exprimer pour la couverture du Journal de Mickey que pour celle des Inrockuptibles. Et surtout que le bon goût de l’un représentait peut-être le mauvais goût pour moi, et inversement. Même il y a dix-sept ans, quand je chantais « Les bêtises » de Sabine Paturel, je prononçais les mots et les frappais avec ma langue de la même façon que si c’étaient ceux d’Elvis. Pour moi c’est la même approche. Aujourd’hui, je n’ai plus besoin de me moquer de qui que ce soit pour exister. Je n’ai plus besoin que le rire soit cynique, qu’il se serve d’une pseudo faiblesse pour nourrir une force. Je n’ai plus besoin de ça pour gagner ma liberté. Si ces chansons sont là, c’est parce que je les aime. Je le précise d’ailleurs dans ce disque.
Cela permet de mettre en valeur des paroles auxquelles on ne prêtait pas attention, est-ce quelque chose de volontaire ?
D’un point de vue artistique, quand la phrase prononcée nous paraissait dire quelque chose, cela marquait un de nos premiers repères avec Martin. Si soudainement, en se posant sur le texte d’une chanson, quelque chose se passait, c’était notre code pour la valider et aller plus loin. C’était fascinant de découvrir une phrase incroyable dans une chanson qu’on connaissait pourtant par cœur. Ça me rappelle quand j’ai chanté « Les bêtises » à la Nouvelle Star. Dans ma bouche, avec mon histoire à ce moment-là, son texte signifiait quelque chose d’autre. C’est le pouvoir des chansons. Certes, il y a des interprètes mais les chansons ont de moins en moins besoin d’eux dès lors qu’elles ont du succès. J’adore l’idée que l’artiste interprète peut disparaître, que les chansons voyagent et deviennent la propriété de millions d’autres gens.
« Nick Cave, Murat, Bashung… J’ai grandi avec des voix graves plus proches de la narration que du chant »
Cela revalorise aussi le rôle de l’interprète par rapport aux auteurs compositeurs, non ?
J’ai grandi musicalement avec des voix graves dont l’interprétation me semblait être plus proche de la narration du conte que du chant : Nick Cave, Jean-Louis Murat, Alain Bashung… des artistes qui me donnaient l’impression de me raconter quelque chose avant de chanter, et pourtant il y avait du chant. Je pense aussi à Léonard Cohen, Johnny Cash… dans une langue que je ne maîtrisais pas. La voix basse crée une vibration dingue. Je me suis rendu compte que la voix parlée basse fait parfois vibrer des mots autrement qu’une voix qui va chercher la note juste. Elle interpelle plus par rapport à sa gravité. Quand la voix est radicalement différente de celle de l’original, cela provoque effectivement un petit dérèglement dans la reprise.
Comment as-tu invité Sharon Stone à un duo ?
L’histoire est assez folle. En 2008 sortait mon premier album dont on tente de faire passer en radio la chanson « Les bords de mer ». Mon manager de l’époque va au festival de Cannes mais je n’ai rien à y faire. Je n’y suis pas invité mais il me convainc de le rejoindre. On va déjeuner sur la plage et le garçon qui nous accueille au restaurant m’invite à jouer du piano à la soirée qui suit.
J’accepte mais personne ne m’écoute jusqu’à l’arrivée de Sharon Stone. Elle ne me connaît pas mais me voit chanter seul face à des chaises vides. Elle s’approche, vient s’assoir devant le piano et tout le monde la suit. À la fin, je vais la remercier, une photo est prise et se retrouve le lendemain dans Nice-Matin. Je suis alors invité dans l’émission de Michel Denisot sur la Croisette alors que ce n’était pas prévu.
Quelques années après, je raconte cette anecdote dans une émission de Prime Vidéo. Sharon Stone la voit et m’écrit sur Instagram. Je la remercie et quand j’ai l’idée de l’inviter pour chanter, je la recontacte. Tout est parti d’un souvenir d’il y a seize ans sur une plage et d’un message Instagram. C’est assez incroyable.
Crédits :
interviews : @pascalbertin
Photo : DR
Imposteur (Columbia / Sony Music) disponible
En concert le 17/05/25 (Arena Futuroscope Poitiers), 23/05 et 28/11/2025 (Arkéa Arena Bordeaux)