Impulsions femmes Dans le noir, les hommes pleurent

Impulsions femmes
Dans le noir, les hommes pleurent

Parfois, la vie vous offre des moments de grâce, inattendus, cadeaux. Cette rencontre improbable entre le docteur Ghada Hatem, marraine du festival Impulsions et du champion de kick boxing Cédric Doumbé est de ceux-ci. L’association des deux personnalités collait comme un gant (de boxe ?) au thème du festival Impulsions de cette année : « Le féminisme : un mouvement de libération des femmes… et des hommes ? ». Ils se sont confiés à nous, avant d’aller visionner le documentaire « Dans le noir les hommes pleurent » de Sikou Diakaté.

festival Impulsions Femmes

L’occasion de cette rencontre au sommet nous a été offerte par le festival niortais Impulsions, organisé par l’association Impulsions Femmes de Bénédicte Brandet. En septembre dernier, pour sa 14e édition, l’événement culturel et militant, avait réuni deux figures du combat pour l’égalité femmes-hommes.

A notre gauche le docteur Ghada Hatem, gynécologue-obstétricienne de métier, médecin-chef à la Maison des Femmes de Seine Saint-Denis, très taquine à ses heures : « J’ai entendu dire que Niort était la plus belle ville du monde, je lis Houellebecq », lance-t-elle d’emblée.

Grande dame de la lutte contre les violences faites aux femmes, la docteure a été décorée de la Légion d’honneur en 2015. L’année précédente, elle avait fondé la Maison des Femmes.      Un espace d’accueil, un refuge, « un lieu atypique qui ressemble aux tiers lieux très en vogue. On y traite plein de sujets sous des angles différents », explique-t-elle.

Quand on aborde le terrain politique, elle cite Simone Veil en modèle « bien sûr ». Sa sensibilité « plutôt de gauche » ne l’empêche pas d’être en accord avec « la politique actuelle du gouvernement qui n’hésite pas à défendre les femmes dans notre société. » Sa dimension « ministrable » ? Elle l’esquive d’un sourire : « pour le moment, je me concentre sur la Maison des Femmes, c’est ma priorité. »

A notre droite, Cédric Doumbé, 10 fois champion du monde de kick boxing, montagne de muscles et de tendresse. Il vient de signer avec la fédération UFC pour en découdre en MMA. Coup d’essai, coup de maître : le 1er novembre, il a remporté son combat inaugural par KO dès la première reprise. « Cela va être un vrai tournant pour ma carrière. Je vais gagner énormément en notoriété. »  Notoriété qu’il met déjà au service de causes diverses, car le combattant est aussi un habile communicant. Cédric est à la tête du podcast « champ vs champ », où il mène de longs entretiens avec d’autres sportifs connus : le basketteur Florent Piétrus, le pilote de F1 Romain Grosjean… Sa forte parole, il la porte aussi contre les violences faites aux femmes. Et c’est justement l’objet de cette rencontre avec Ghada Hatem.

« Un champion de sport de combat qui défend les femmes victimes de violences, on a trouvé le paradoxe super parlant. »

Cédric Doumbé
festival Impulsions Femmes

Ces deux-là se connaissent bien et n’ont pas attendu ce rendez-vous niortais pour échanger et collaborer ; même si nous sommes les premiers à avoir eu l’idée de cette interview croisée.

« Notre rencontre a eu lieu sur Instagram quand j’ai posté une photo de ma poitrine refaite », ironise encore le docteur Hatem, pointant par là même l’influence délétère des réseaux sociaux sur le comportement des jeunes filles et garçons. Cédric rétablit la vérité : « Mais non. Avec mon manager, nous voulions mettre ma notoriété dans le milieu du sport au profit d’une cause. Celle des femmes me touche particulièrement. Un champion de sport de combat qui défend les femmes victimes de violences, on a trouvé le paradoxe super parlant. Et on a contacté Ghada. »

« Le public du kick boxing est exactement celui à qui il faut parler de ces sujets. »

Cédric Doumbé

La rencontre a donné naissance à Be a man, un court-métrage de sensibilisation aux violences faites aux femmes. La voix de Cédric y questionne la masculinité et ses travers. Il explique : « Le but est de déconstruire la fausse image de la virilité, montrer qu’elle n’est pas synonyme de violence, de force. Et qu’au contraire, la sensibilité n’est pas un signe de faiblesse » … ni l’apanage des seules filles.

« Le public du kick boxing est exactement celui à qui il faut parler de ces sujets. Des gens qui me prennent pour modèle. Potentiellement des pères qui aiment la violence. »

« On est par moment empêtrés et on transmet des choses qui favorisent ce comportement. »

Ghada Hatem

Et les autres et nous-mêmes, les gens ? Ne sommes-nous pas les premiers vecteurs de ces stéréotypes ? « Quel que soit notre niveau de vigilance, de conviction, on est par moment empêtrés et on transmet des choses qui favorisent ce comportement. Combien de mères disent à leur fils « ne pleure pas, t’es un garçon ». C’est presque naturel.

Ça demande un effort pour les gens de mon âge en tout cas. Je suis grand-mère depuis peu et je pense que ce sera différent pour la génération suivante, » répond Ghada. L’éducation des jeunes parents, moins conditionnés par ce discours serait la voie à suivre pour Cédric Doumbé : « avant même de parler de ces choses à un enfant, il faut agir et montrer. On sait que ce sont des éponges… » Ce qu’on appelle l’éducation silencieuse…

festival Impulsions Femmes

« Les réseaux sociaux amplifient quelque chose qui a toujours existé. »

Ghada Hatem

Le combat a d’autant plus de sens que l’adversité se cristallise, que les stéréotypes n’ont jamais eu la peau aussi dure. Ceci en grande partie à cause du web qui a transformé le monde en un village où tout le monde peut prendre la parole, sans filtre ni hiérarchisation des propos. « Les réseaux sociaux amplifient quelque chose qui a toujours existé », explique Ghada Hatem en prenant pour exemple celui de cette jeune femme qui clame qu’elle s’est fait refaire le vagin. « La différence c’est qu’il y a 20 ans, cela n’aurait pas dépassé la cour de son collège. On lui aurait dit « c’est génial » ou « complètement con » et point. Aujourd’hui, c’est vu par 3,5 millions de personnes et c’est effrayant. » Elle ajoute : « Cette jeune femme est la quintessence de son propre modèle de « Madame Séduction » qui entre dans le stéréotype et l’enfonce gravement. Ce modèle est le contraire de celui de Cédric, le « Monsieur Testostérone » qui transmet un message de paix et d’amour. »

Le film Be a man, commandé par la Maison des Femmes, est justement formaté pour devenir viral sur les réseaux. Car c’est bien ici que se joue le combat contre les clichés de genre. La lutte est rude et le terrain défavorable, reconnaît Cédric Doumbé :« C’est très difficile car plein de petites filles ont envie de ressembler à ce genre de Madame Séduction qui est devenue un modèle. »

« Le non-genre est une posture très intellectuelle qui ne tient pas la route. »

Ghada Hatem

Autre phénomène qui fait florès auprès des ados sur les réseaux sociaux : le non-genre. Comment se positionner face à cette tendance qui prône un droit à la différence ? Le docteur Ghada Hatem est loin de la considérer comme l’expression d’une libération : « Que dans sa tête on ne souhaite pas suivre une sexualité hétéro-normée pourquoi pas. Mais prétendre qu’on n’a pas de genre, pour moi, c’est plus une posture très intellectuelle qui ne tient pas la route sur le plan de la biologie. J’ai le sentiment qu’il y a un grand malaise chez ces jeunes qui ne savent plus à qui ils veulent ressembler. » Elle ajoute : « Pour moi ce phénomène répond à un tournant dans la société. Les gens qui ne sont pas à l’aise empruntent cette voie médiane qui n’a pas de substrat. »

Ses propos sont à peine plus amènes avec la vague Me too. « Si elle a permis de faire sortir une parole taboue, des choses qui se savaient mais que tout le monde cachait, il faut néanmoins faire attention au tribunal du web, ne pas partir dans tous les sens. Certaines personnes qui ont eu le malheur de dire le petit mot de trop se sont fait égratigner. Ça peut prendre des proportions complètements dingues ».

« Les sexologues ont aussi un rôle à jouer pour combattre le phénomène du porno gratuit, un vrai fléau pour cette génération. »

Ghada Hatem

La gynécologue-obstétricienne découvre à notre contact l’initiative de ses confrères urologues auprès des garçons pour leur parler sexualité. Elle s’en félicite. « Les jeunes hommes se disent sans doute qu’ils n’ont pas besoin de consulter puisque ce sont des hommes et qu’ils n’ont aucun problème évidemment. Les sexologues ont aussi un rôle à jouer pour combattre le phénomène du porno gratuit, un vrai fléau pour cette génération. Ce genre de professionnels peuvent atténuer cette agressivité de l’image. »

« Un homme, un vrai, c’est celui qui n’a pas peur de montrer sa sensibilité. »

Cédric Doumbé

Avec tout ça, on comprend surtout la difficulté d’être un homme, un vrai ! Comment se positionner ? Le très costaud Cédric Doumbé a-t-il des pistes ? « Pour moi c’est celui qui n’a pas peur de montrer sa sensibilité. C’est aussi celui qui veille sur sa famille, ses amis aussi. Cette attention portée aux autres est un combat de tous les jours. » Ghada Hatem valide dans un sourire : « c’est celui qui prend soin des femmes. »

Making of

Interview par : @charles.provost et @karlduquesnoy

Lieu : Patronage laïque

Durée : 1h

Niveau d’entente : Se connaissent bien, mais vous lisez leur 1re itv commune

Crédits :

@lamaisondesfemmes.fr

@CedricDoumbe

Crédit Photos : @realkafkatamura