Emmanuel Reyé
« Il y a quelque chose de la tragédie grecque dans la tragédie du Mans 1955 »
Sur le tard, Emmanuel Reyé a fini par découvrir que deux de ses oncles étaient décédés lors de la catastrophe des 24 Heures du Mans 1955, le plus grave accident de l’histoire du sport automobile (82 morts, 120 blessés). Il en fait aujourd’hui le récit d’un documentaire (Le Mans 1955, une tragédie française), intime et historique, et donc profondément touchant
Ton documentaire aurait pu miser sur le sensationnel, se servir des images montrant la Mercedes de Pierre Levegh percuter l’Austin-Healey de Lance Macklin avant de s’envoler dans la foule et d’exploser. Au lieu de ça, tu as préféré adopter une approche intimiste : quel a été l’élément déclencheur ?
Emmanuel Reyé : Tout s’est concrétisé suite à la lecture d’un livre emprunté chez une connaissance et que j’ai dévoré en une nuit : Aïe, mes aïeux !, au sein duquel l’autrice Anne Ancelin Schützenberger parle des non-dits au sein d’une famille. Il se trouve qu’il y a également dans ma famille un énorme secret, dont on ne parle jamais entre nous et dont j’ignorais globalement tout. Clairement, la lecture de ce livre m’a donné envie de creuser cette histoire, d’explorer cette blessure béante, qui semble hanter mes oncles, mes tantes et mes cousins. Je me déplace alors au Mans et je débute mon enquête avec cette question en tête : comment est-ce possible que la course, malgré les morts, n’ait pas été arrêtée ?
À partir de ce moment-là, que se passe-t-il ?
Emmanuel Reyé : J’ai alors conscience de raviver de vieux souvenirs enfouis chez des gens qui ne demandent qu’à partager leur expérience. Lorsque je passe des appels à témoin dans les journaux locaux, par exemple, je reçois illico une pluie d’appels avec, évidemment, plein de confidences assez nases, et d’autres qui demandent à être vérifiées. En fin de compte, entre l’écriture, la post-prod, le montage et la livraison à CANAL+, ce documentaire a fini par me prendre cinq ans.
Il n’est jamais évident d’exposer ainsi son intimité ou de raconter une part de son histoire familiale…
Emmanuel Reyé : (Il coupe) J’ai commencé à écrire sans réellement penser à la forme, c’était comme une sorte de roman, sans le côté fiction. Étant donné que je n’avais pas accès à tous les éléments, j’ai habillé mon récit avec ce que je pouvais : les images, le son, etc. Ce n’est qu’au moment où j’ai commencé à échanger avec les membres de ma famille que je suis pleinement entré dans le récit documentaire. Dès lors, j’ai cherché à renforcer cette proximité avec le récit. Pareil avec la voix off : au début, je ne voulais pas, par pudeur. En fin de compte, un tel dispositif me paraît évident.
Quid de la musique dans tout ce processus…
Emmanuel Reyé : Le documentaire étant le parent pauvre de l’audiovisuel, je ne pouvais pas me permettre d’extravagance. Par chance, je connais bien Rob (compositeur de Grand Central, du Bureau des légendes ou de Culte, ndr), qui est un peu le king de la B.O. en France et qui était hyper intéressé par le projet. Je fais pas mal de musique, j’en écoute beaucoup. Ça a tendance à gaver mes gosses, mais là, cette mélomanie m’a permis d’échanger longuement autour de l’environnement sonore du documentaire.
En t’écoutant, on a vraiment la sensation que Le Mans 1955, une tragédie française s’est construit au fur et à mesure des rencontres, en fonction des témoignages…
Emmanuel Reyé : Ce que l’on a vendu à CANAL+ à l’origine est effectivement très éloigné du résultat final. Le documentaire est nettement plus intime, et s’appuie sur des éléments que l’on n’avait pas prévu d’intégrer, comme ce psychiatre qui n’était pas dans le script original mais qui nous a permis de faire le lien entre l’accident et ce que cela implique sur le plan familial.
« Le Mans 1955, une tragédie française, ça a tout de même été le meilleur démarrage de l’année sur la plateforme myCANAL pour Planète+. »
Contrairement à un tas d’autres documentaires, Le Mans 1955, une tragédie française s’étire sur 90 minutes. Pourquoi ce choix ?
Emmanuel Reyé : CANAL+ était à la recherche d’un documentaire de ce format-là. Pendant un temps, il a été question de faire une mini-série de quatre épisodes de 52 minutes. En termes de dramaturgie et d’écriture sérielle, il y aurait eu de quoi faire, mais la chaîne a privilégié la première option. À raison : Le Mans 1955, une tragédie française, ça a tout de même été le meilleur démarrage de l’année sur la plateforme myCANAL pour Planète+. Quant à moi, j’ai trouvé l’exercice très intéressant, dans le sens où il offre beaucoup de liberté sur le tournage.
Un drame, une affaire non résolue, des secrets familiaux : le succès de ton documentaire ne tient-il pas au fait qu’il contient tous les éléments qui font d’une œuvre audiovisuelle une réussite ?
Emmanuel Reyé : D’un point de vue dramaturgique, c’est clair que l’on retrouve beaucoup d’éléments qui font penser à un grand film de cinéma : le drame, l’évènement historique, l’intime, etc. Personnellement, ce qui me bouleverse le plus est de savoir que mon grand-père est sorti sain et sauf des tribunes alors que ses deux fils ont succombé à l’accident. Ça a provoqué en lui un énorme sentiment de culpabilité, celui du survivant, celui d’un homme qui se dit qu’il aurait aimé être à la place de ses enfants. Il y a quelque chose de la tragédie grecque dans cette histoire.
Sur le plan intime, justement, est-ce que ce documentaire a permis de réparer quelque chose ?
Emmanuel Reyé : Indéniablement ! Ça a permis de rapprocher des gens qui ne se croisent habituellement que dans des mariages ou des enterrements. Désormais, on se voit régulièrement, on échange, on parle du passé, etc. Je tiens donc à remercier CANAL+ d’avoir payé une thérapie à ma famille (rires).
CRÉDITS :
Réalisateur : @emmanuelreye
Interview @max.delk
Regarder le documentaire : Le Mans 1955, une tragédie française
Événement exceptionnel au Cinéma du Moulin du Roc à Niort !
De cette belle rencontre est née une idée unique : vous proposer une projection privée de son documentaire » LE MANS 1955 Une tragédie française « . Ne manquez pas cette soirée, avec la présence exclusive du réalisateur niortais Emmanuel Reyé. Une occasion rare de découvrir son univers et d’échanger avec lui après la séance !
Le 15 janvier 2025- 20h
infos à venir pour réserver sa place
ATTENTION PLACES LIMITÈES
En partenariat avec Le Moulin Du roc et la ville de Niort