Adolescents confinés au Village. 2020, liberté, sociabilité, le virus a tout bousculé !

Adolescents confinés au Village.
2020, liberté, sociabilité, le virus a tout bousculé !

Pendant un an, jusqu’en avril 2021, nos enfants ont évolué dans la quatrième dimension. En ville, on frappait sur les casseroles, on chantait pour les voisins, mais à la campagne ? Comment les adolescents ont-ils traversé ce long tunnel d’ennui, seul remède à la pandémie ? Quel avenir pour ces jeunes adultes privés de leur insouciance ?

Ils sont deux frères, jeunes habitants des Deux Sèvres. Cyril, 19 ans, s’oriente après le lycée en filière sociale pour devenir éducateur. Trevor, lui, bientôt 21 ans, abandonne ses études l’année du BAC, après le confinement, et choisit l’école de la vie. Ce qui marque d’abord, c’est un souvenir flou. C’était quand ? Y en a-t-il eu, un, deux, trois ? Combien de temps ? C’est si ennuyeux d’y penser que le cerveau semble vouloir tout gommer.

Evidemment, pour les adolescents, le manque premier, ce sont les filles. Il y en a peu au village sur leur génération et encore moins durant le confinement. Elles respectent plus volontiers les interdits et ont grandi en minorité dans cette commune de 1730 habitants, à trois quarts d’heure en voiture de la ville. “ Elles sont comme des mecs”, me confient les garçons. Ici, on se fiche de la mode, on vit en jogging unisexe pour jouer au foot au mini stade. Il y a une mentalité particulière, tout le monde se connaît et traîne ensemble sans distinction d’origine ou de génération. Il y a intérêt à bien s’entendre, les relations humaines sont au centre de la vie. On ne va pas au bar, ni en boîte, on se retrouve les uns chez les autres. On se protège, on partage.

La première chose qui frappe, une fois la conversation lancée, c’est le refus d’y croire…

Après les parents, c’est le gouvernement qui ne veut pas que l’on sorte ! La nouvelle règle, impossible, c’est chacun chez soi.

Enfermés de force, l’information circule par internet, les réseaux, rumeurs et théories du complot. Le virus ne vient pas. Les chiffres, statistiques de mort, s’empilent dans les médias. Au village, il ne se passe toujours rien. Alors comment y croire ? Après des mois de doutes et de déni, une personne tombe malade, c’est la panique. On le connaît. C’est le papy si gentil dans sa camionnette jaune, mais ça n’empêche pas les gens de contourner les règles. Pour Trevor, c’est à ce moment-là que ses valeurs s’écroulent, les adultes ne respectent pas la loi. Ils contournent les interdits, jouent aux cowboys et aux indiens avec les flics. 135 euros, c’est peu payé pour la liberté ! Il entame une vie nocturne, escalade les murs pour fumer des pétards avec les copains.

Rien d’autre à faire que de chercher du shit, trouver du shit, fumer du shit.

Les flics saturent, le prennent en grippe. Mais quand il n’y a rien d’autre que de jouer à chat avec les condés…

Pour Cyril, l’apathie, c’est la déprime. Il prend conscience que le temps est précieux et qu’on ne doit pas le perdre, qu’à trop réfléchir à la vie, immobile, on devient fou. Même s’il suit son frère durant ses virées nocturnes, une fois bloqué dans les chambres enfumées avec les copains, il s’ennuie. Car, c’est de cela qu’il s’agit. En campagne, les jeunes confinés vivent sur leur téléphone, perdent en curiosité, en ouverture d’esprit. Pour la mère des garçons, témoin privilégiée, professeure en Lycée Professionnel, les répercussions du confinement sur les adolescents sont immenses. Mais c’est principalement la perte de vocabulaire qui l’inquiète; ils n’ont pas les mots simples. “Ils se contentent de ce qu’ils ont, deviennent des chats de canapé” commente Trévor. Pas question pourtant, pour lui, d’envisager cette période de sa vie avec mélancolie.

On a vécu quelque chose d’unique, le couvre feu, comme à la guerre !

 Il y a les souvenirs de confinement, la musique, les vidéos qu’on s’envoie pour se tenir compagnie à distance.“ Ça a rapproché les gens.”. Enfin pas tous. Pour Cyril, ne plus aller au lycée, c’était difficile. L’isolement, c’était pire que le virus. Pour un ado à la campagne, la sociabilité c’est le bahut. C’est par là que l’on sort de sa bulle.

Les garçons me racontent la haine des boomers, responsables de tous les sales états du monde, les conflits entre vaccinés et antivax en cours de philo. Seuls trois élèves dont Trévor ne sont pas vaccinés dans la classe, on les traite d’égoïstes. La reprise du rythme scolaire, bien que crescendo, reste compliquée. 

Les profs s’acharnent à obtenir des résultats, alors qu’ils étaient jusque-là absents ou sur écran. Beaucoup d’adolescents sont repliés sur eux-mêmes. Les élèves ne se parlent plus dans les couloirs des cours, ils s’envoient des messages même s’ils sont assis les uns  à côté des autres. Ils ont passé des mois sans voir de visages. De l’enfermement est née l’anxiété sociale. 

Et pourtant, Cyril et Trevor estiment qu’ils ont eu de la chance : pour eux, cela aurait été pire à “la ville”. Aujourd’hui, ils ont pris conscience du temps, de sa valeur, mais aussi du pouvoir des décisions politiques sur une population. Certes, ils ont appris à désobéir un peu trop tôt, mais ils n’ont pas perdu en humanité. Ces jeunes adultes de demain restent très attachés à leur village et peut-être même encore plus que s’il n’y avait pas eu cette pandémie.

Interviw & Texte  @melaniebauer

Photos  @realkafkatamura