Mode éco-responsable Et si on en avait fini par oublier l’essentiel ?


Mode éco-responsable
Et si on en avait fini par oublier l’essentiel ?


Entretien croisé entre Antoine Fouliot, responsable marketing de la marque rochelaise Soöruz, et Emmanuel, fondateur de l’atelier de réparation de sneakers Dewens Custom

Écologie, éco-responsabilité, durabilité… Aujourd’hui, la mode n’a que ces mots à la bouche.

Pas étonnant quand on sait qu’elle est l’industrie la plus polluante de la planète. Et si bon nombre de marques disent avoir pris un virage écolo, pour beaucoup, il n’en est finalement rien. Rencontre avec deux entreprises rochelaises qui pensent nos vêtements autrement.

Le saviez-vous ? L’industrie du textile est la deuxième industrie la plus polluante au monde. Et le constat est alarmant. Selon une étude publiée en novembre 2023, sur 35 vêtements jetés par an et par habitant en Europe, seuls quatre sont recyclés. Pire encore, selon l’Ademe, 4 millions de tonnes de déchets vestimentaires sont jetés par an sur le continent. Une aberration écologique que bon nombre de marques disent aujourd’hui combattre. Mais devenir écolo parce que le tribunal populaire l’exige n’est-il pas finalement en train de nous faire oublier le principal : le respect de l’environnement ? Discussion passionnante avec Emmanuel Despeignes, créateur de l’entreprise Dewens Custom, et Antoine Fouliot, responsable marketing d’une marque bien connue des Rochelais, Soöruz.

L’écologie dans la mode, l’argument de vente qui nous fait oublier l’essentiel ? Voilà bientôt dix ans qu’Emmanuel Despeignes offre une seconde jeunesse à tout un tas de vieilles sneakers. Nettoyage, désinfection, restauration et customisation sont les grands axes de son activité. Ainsi, avec Dewens Custom, ce Rochelais d’adoption s’inscrit, sans vraiment le vouloir, dans une démarche particulièrement tendance aujourd’hui : l’upcycling (comprenez, qu’il fait du neuf avec du vieux). Sans vraiment s’en rendre compte, il contribue donc localement à réduire l’impact de l’industrie textile sur la planète. Mais là n’a jamais été son ambition première. « Quand j’étais au collège, j’avais le droit à une paire de sneakers par an.

Donc forcément, il fallait que je la garde propre pour qu’elle me fasse toute l’année », nous confie-t-il. Avant d’ajouter : « Quand elles étaient sales, je les nettoyais. Quand elles étaient trouées, je les réparais. Au début, je faisais ça par débrouillardise, puis c’est devenu une passion ». Et c’est exactement dans cette optique d’économies que sa clientèle le contacte, la plupart du temps directement sur ses réseaux sociaux. « Aujourd’hui les gens viennent plutôt me voir dans une démarche de confort. C’est plus affectif qu’éco-responsable », nous explique-t-il.

Un discours qui fait écho chez Antoine Fouliot, le responsable marketing de Soöruz, qui pense lui aussi que l’écologie ne doit pas être le premier moteur d’une marque. D’ailleurs, il l’avoue, lorsque la firme rochelaise pour laquelle il travaille depuis huit ans a opéré un virage à 360°, la démarche était commerciale avant d’être écolo. Et selon lui, l’argent est aussi le nerf de la guerre chez ses clients. Il l’affirme, dans leur processus d’achat, ils recherchent d’abord la performance et la qualité, puis ils s’intéressent au prix. L’écologie, elle, n’arrive qu’en sixième position. « Ça n’a aucun sens de penser les choses par un seul prisme », estime Antoine. « D’ailleurs, si Soöruz a intégré la protection de l’environnement à sa marque, c’est d’abord pour protéger son terrain de jeu, l’océan. Le point de départ de tout ça doit être, et rester, le respect ». « Finalement, c’est à chacun, et donc aux clients aussi, de prendre ses responsabilités », répond Emmanuel du tac au tac. « Antoine a raison, si tu te mets à penser uniquement écologie, tu finis par perdre le sens de départ. Et puis si tu ne veux faire aucun impact sur la planète, tu ne fais plus rien, surtout dans une entreprise», conclut-il.

« Ça n’a aucun sens de penser les choses par un seul prisme (…) Le point de départ de tout ça doit être, et rester, le respect »

Des dressings à la sauce écolo sans jamais en faire trop. Modestes Emmanuel et Antoine ? Très certainement. Car si Soöruz et Dewens Custom n’ont jamais fait de l’écologie leur priorité, les deux marques n’en restent pas moins éco-responsables. Depuis juillet 2020, la firme rochelaise bien connue des aficionados de surf crée des combinaisons de surf conçues en Oysterprene, un Néoprène dans lequel les deux co-fondateurs, Yann Dalibot et Matthieu Barat, ont intégré de la poudre de coquilles d’huîtres il y a déjà plusieurs années. Une technique qu’ils ont inventé à une époque où bon nombre de marques de textiles se vantaient d’avoir transformé le Néoprène en remplaçant le pétrole, une ressource fossile, par du calcaire, une autre ressource fossile donc… Un contresens écologique contre lequel ils se donc battus en développant l’Oysterprene, une innovation éco-responsable qu’ils ont décidé de partager avec le plus grand nombre il y a deux ans et sur laquelle ils n’ont donc plus l’exclusivité. Encore un choix eco-friendly pour Soöruz qui, en rendant cette technologie accessible à tous, a fait évoluer considérablement la partie produit renouvelable sur le marché. Et ce n’est pas tout, puisque chez Soöruz, on recycle des combinaisons qui sont

toutes garanties trois ans et peuvent être réparées gratuitement en deux temps trois

mouvements, de toutes marques depuis 2018. Une fois par an, la firme rochelaise les récupère en effet chez 130 de ses revendeurs indépendants dans toute l’Europe. Une fois collectées, elles sont broyées dans l’atelier de la marque à La Rochelle, et le résultat de ce broyage est vendu, par exemple à des selleries qui proposent des coussins réalisés à partir de voile de bateau recyclée. Une toute nouvelle matière, elle aussi éco-responsable, est donc mise sur le marché et c’est ainsi qu’une boucle vertueuse se met peu à peu en place.

“L’environnement est rarement l’objectif premier”

Du côté de chez Dewens Custom aussi l’écologie n’est jamais bien loin, et Emmanuel

Despeignes la fait constamment rimer avec économies. Et pour cause, chez lui, le prix d’un nettoyage est fixé à 35€ la paire. Une prestation très abordable qui attire donc toutes les générations qui préfèrent ainsi redonner une seconde jeunesse à leurs baskets, plutôt que de les remplacer par des neuves. Idem pour la réparation, un autre service que propose l’entrepreneur capable de rafistoler n’importe quelles sneakers défectueuses. Un service dont le prix est fixé en fonction de l’état de la chaussure mais qui ne tombe jamais dans l’excès. Un bon point quand on sait que, chaque année, 25 milliards de chaussures sont produites et vendues à travers le monde. Et que 90% d’entre elles ne finissent jamais recyclées, pouvant ainsi mettre jusqu’à 1000 ans à se décomposer. Des données alarmantes contre lesquelles le fondateur de la petite entreprise rochelaise se bat tous les jours sans même y prêter attention. Car il l’affirme, « dans une sneaker, toute les matières peuvent être nettoyées et réparées ». Alors, avant de chercher à tout prix les labels et autres garanties éco-responsables, peut-être faudrait-il d’abord regarder du côté de nos entreprises locales qui proposent depuis toujours des alternatives propres. Car, comme le rappelle très bien Antoine Fouliot, le respect de l’environnement est un facteur de plus en plus important, chez les créateurs, comme chez les consommateurs, « mais il est rarement l’objectif premier ». Et si l’écologie est le premier argument de vente d’une de vos marques préférées, c’est peut-être qu’elle n’est pas totalement honnête avec vous… À nous donc de penser le problème autrement, et de donner (enfin) du sens à nos manières de consommer la mode.

CRÉDITS :

Interview @tess.annest

Photos @lambert.davis

@dewens_custom , @sooruz_larochelle