
Cuisine
Fuir la guerre et cuisiner
Son houmous est probablement le meilleur de Niort. Ses macarons ukrainiens n’ont rien à envier à ceux de Ladurée. Voilà trois ans que Richard Sibaï nous régale de ses délices syriens au cœur du marché. Les pâtisseries de Lizochka Popova sont encore le privilège de quelques gourmands bien renseignés. Loin de leur pays en guerre qu’ils ont fui, Richard et Liza nous racontent ce qui les lient.
Ce samedi matin au cœur des Halles de Niort, un murmure de conversations slaves résonne. Une dizaine d’Ukrainiens est attroupée devant Pistache, le stand de cuisine bistronomique franco-syrienne de Richard Sibaï. Lizochka Popova, jeune pâtissière de 31 ans, prend dans ses bras sa fille Zlata, pour l’aider à mieux voir les vitrines. « Nous sommes arrivées à Niort le 20 mars. Nous avons roulé pendant six jours pour fuir Dnipro, notre ville bombardée. » Son histoire résonne auprès du traiteur syrien. Touché par ces jeunes gens déracinés, il offre ce midi-là un plat traditionnel syrien à tous les réfugiés. « La nourriture est ma façon d’apporter du réconfort à ceux qui en ont besoin »
Malgré son français approximatif, les mots trouvent un écho auprès de la jeune femme. « Je suis reconnaissante envers Richard et ceux qui nous soutiennent. Je respecte les gens qui n’oublient pas leur histoire. »
Comment l’oublier ? Richard Sibaï, 54 ans aujourd’hui, a dû fuir Homs il y a onze ans. La ville de Syrie qui l’a vu grandir et s’épanouir bascule dans la révolution en mars 2011.
À l’époque, il est à la tête d’une entreprise de création de cartes de mariage de luxe. Un business florissant au Moyen Orient, où l’on ne se marie jamais à moins de 700 invités. Mais en trois mois, la guerre ravage tout. Son usine est détruite, son affaire est réduite à néant. Son succès financier fait de lui une cible privilégiée. « J’étais un homme d’affaires connu, mon père, chef d’entreprise dans la mode, encore plus. Ma vie, celle de ma famille étaient menacées.»
Les Sibaï s’installent d’abord à Damas, mais là-bas aussi, les combats font rage. Il leur faut quitter la Syrie. « C’était très compliqué de sortir du pays. J’ai décidé de partir seul et de trouver un moyen d’évacuer ma famille ensuite, en toute sécurité. Quand j’ai quitté ma femme et mes trois enfants ce jour-là, j’ignorais dans combien de temps je les reverrai. Un mois ? Dix ans ? Je ne le savais pas encore, mais c’était la dernière fois que je voyais mon père. »
Encore animé par la peur du régime, Richard n’en dira pas plus sur les conditions qui lui ont permis de fuir le pays pour rejoindre Paris. À son arrivée dans la capitale, il se renseigne pour trouver le moyen le plus sûr de faire venir sa famille. Il joue des quelques connaissances de son réseau de businessman. « Avec mon père dans le prêt-à-porter, j’étais souvent venu à Paris pour le travail ou pour le plaisir. » De la France, il connaît aussi La Rochelle, où il a passé quelques étés, enfant. « Mon oncle maternel était médecin généraliste là-bas. Malheureusement, j’avais perdu tout contact avec lui à ce moment-là. » C’est finalement le hasard de l’administration qui le conduira à Niort, à quelques kilomètres seulement du port rochelais qu’il a si bien connu petit. « Je me suis dit que c’était un signe. Un très bon signe. » Après deux semaines en France, Richard parvient à faire venir sa femme et ses trois enfants auprès de lui et à fuir la guerre, une bonne fois pour toutes.
« Fuir la guerre, je n’aurai jamais imaginé avoir à faire ça un jour, en Ukraine, en 2022.» Une décennie plus tard, Lizochka Popova a elle aussi trouvé en Niort son refuge.
Face au récit de Richard, elle se sent moins seule, mais s’inquiète. « Il pensait rester en France pour quelques mois, et aujourd’hui, il est toujours là. » La jeune mère de famille ukrainienne qui espère retrouver sa vie d’avant, a cru jusqu’aux derniers instants que le conflit n’aurait pas lieu. « Le 23 février était une belle journée. La boutique avait bien tourné. Le soir, je suis rentrée chez moi heureuse à l’idée de célébrer mon anniversaire le lendemain. Mais je n’ai jamais pu souffler mes bougies. » Liza entend le discours de Vladimir Poutine ce soir-là mais n’y croit pas. « Je me suis simplement dit qu’il était fou, qu’il cherchait à nous faire peur, comme avec la Crimée. Je n’imaginais pas qu’il nous bombarderait quelques heures plus tard. »
Dès lors, tout dans le pays s’arrête. Dnipro, ville de près d’un million d’habitants, est comme paralysée. « Les hommes sont partis sur le front, les écoles ont fermé, tout le monde s’est réfugié chez soi, effrayé à l’idée de sortir. Au bout du quatrième jour, la nourriture s’est faite rare dans les supermarchés. »
Mais c’est à partir du 10 mars, quand les bombardements sur sa ville commencent, que Liza comprend que ça ne s’arrêtera pas. Il faut partir. « Nous avons passé plusieurs nuits dans le parking souterrain de notre immeuble. Il faisait un froid glacial. Je retournais dans mon appartement pour faire à manger et aller aux toilettes, avec la peur d’être visée par un tir et de ne jamais revoir mon enfant. Le 15 mars, j’ai décidé de fuir. »
Liza n’emporte que deux petites valises. Elle remplit le reste du coffre de sa voiture de provisions et de son matériel de pâtisserie. « Après la naissance de ma fille, la cuisine a été la clé de mon émancipation. Je sais que je peux gagner ma vie grâce à mes gâteaux. » Lorsqu’elle prend le volant, Liza n’a pas de plan. « Simplement rouler et arriver vivante avec Zlata jusqu’à la frontière française. » Ex-championne de danse de salon, la jeune maman a voyagé dans toute l’Europe et avoue une préférence pour notre pays. « J’ai fait une partie de ma formation de pâtissière ici.» Des Français, elle garde le souvenir d’un état d’esprit proche du sien, dans le respect de l’autre et de soi-même. « Ce sont des valeurs qui me parlent et que j’essaie de transmettre au quotidien. » C’est un message sur le réseau social Telegram qui va la conduire jusqu’au Marais Poitevin. « Polina Myakinchenko proposait des hébergements gratuits à Niort pour les réfugiés ukrainiens.» Polina, jeune Niortaise d’origine russe est alors très active au sein du collectif Ukraine Soutien Niortais. Elle accueille à bras ouverts Liza et Zlata et les aident à faire les papiers nécessaires pour obtenir le droit de séjour.
Aujourd’hui, Liza, sa fille, et sa maman qu’elle a réussi à faire venir de Dnipro, vivent ensemble dans une maison généreusement prêtée par un particulier. « Nous avons une chance inouïe. Ma mère peut même continuer à donner ses cours d’histoire géo à ses élèves ukrainiens. Ma fille suit l’école en ligne et nous apprenons le français petit à petit. » Leur petit chien Paul a lui aussi pu rejoindre la famille mais Alexandre, le compagnon de Liza reste mobilisé en Ukraine et travaille à la fabrication de gilets pare-balles. « Je cuisine pour rester optimiste. Faire des gâteaux a pour moi un aspect méditatif, et cela me permet de subvenir aux besoins de ma famille. » Ses macarons géants et ses gâteaux au miel, concoctés avec du miel de sarrasin produit à Saint Georges de Rex, ont un succès fou.
« Au début, mes clients étaient principalement les membres du collectif Ukraine Soutien Niortais, mais le bouche à oreille fait son effet et les demandes se multiplient. »
Richard Sibaï n’est pas surpris. « En France, manger est un art de vivre. » Si l’on en croit son expertise, nourrir les Français est même le meilleur des business plan. C’est en tout cas celui qui lui réussit depuis 3 ans maintenant.
Pourtant, rien ne le prédestinait à passer derrière les fourneaux. « Quand je me suis lancé en 2019, je n’avais jamais vraiment cuisiné, je n’avais aucune formation. J’ai un diplôme américain en design et marketing ! J’ai fait une petite étude de marché, et je me suis lancé. » Le premier samedi est rude. « Avec ma femme, nous avions passé des heures à tout élaborer. Nous avons installé notre stand à 6h du matin dans une contre allée des Halles. » Houmous, caviar d’aubergine et de betteraves, samossa… de quoi ravir les Niortais en mal d’exotisme.
Pourtant, la matinée passe, et personne ne s’arrête. « Mon épouse et moi avions les larmes aux yeux, nous avions mis tellement d’espoir et de passion dans ce projet… » À midi, la journée bascule. Les estomacs se réveillent et se ruent sur Pistache. « J’ai gagné beaucoup d’argent dans ma vie, mais la recette de ce jour-là, la première vente de mon travail dans notre pays d’accueil, avait un goût particulier. » La suite, nous la connaissons. Une bâche rouge imprimée Pistache, un stand au cœur du marché, et chaque semaine de nouvelles recettes. « Je m’inspire de la cuisine traditionnelle syrienne pour créer de nouveaux plats. Toujours avec les meilleurs produits possibles, et dans des emballages respectueux de l’environnement. »
Même la crise sanitaire passée par là n’a pas eu raison du succès grandissant du néo-traiteur. Pour preuve, Richard a même lancé en juin dernier son offre de chef à domicile. Une nouvelle manière pour lui de partager son histoire dans le cadre préféré des Français : à table !
Crédits :
Interview @Marine Warine
Crédit photo : @Lambert Davis
Pour le dessert :
Contacter sur Messenger @lizochkapopova ou au 07 49 09 05 45