« Compliqué d’être un artiste rigolo » CHILLY GONZALES

« Compliqué d’être un artiste rigolo »
CHILLY GONZALES

Auteur-compositeur-interprète, performer, pianiste fantaisiste, producteur – Jane Birkin, Abd al Malik, Katerine, Christophe Willem… – l’infatigable Chilly Gonzales revient enfin à ses affaires. Sur « French Kiss », le Canadien chante pour la première fois en français, entouré de Juliette Armanet, Arielle Dombasle, Bonnie Banane et Teki Latex, reprenant Michel Berger et Mr. Oizo. Un drôle d’oiseau, lui aussi.

Ton album « French Kiss », est-ce une déclaration d’amour à la France ?

Oui et en même temps, je suis français, je possède un passeport français par mon père. C’est donc aussi un amour familial que j’exprime et pas juste des éloges au pays. J’ai vécu en France pendant dix ans et j’ai un amour assez réaliste de la culture française : j’y sens le bon, le mauvais, le médiocre… En étant aussi canadien, en ayant grandi à Montréal, j’ai aussi un détachement par rapport à notre propre culture francophone québécoise.

Comment t’es venue l’idée de l’album ?

Ça a démarré par « Piano à Paris ». J’attendais la livraison de mon piano dans cette pièce (nous sommes dans son pied-à-terre parisien, quai d’Anjou, NDLR), et me suis demandé ce que j’allais y composer en premier. J’ai joué cette mélodie et j’ai pensé aux pianistes français qui sont mes modèles, de Richard Clayderman à Michel Berger. J’ai décidé d’un morceau pour tous ces musiciens sous-estimés : dans ces mots « Gilbert Montagné, c’est mon Kanye » tout est dit. J’ai pris le goût d’écrire en français et l’album a suivi, en reprenant « Message Personnel », en invitant Richard Clayderman puis d’autres invités.

Quand ma fille a vu Notre-Dame de Paris depuis la fenêtre, elle a imaginé que c’était Quasimodo qui avait déclenché l’incendie pour s’échapper. J’en ai parlé à Bonnie Banane avec qui on est copains et la chanson « Il Pleut Sur Notre-Dame» est née. J’ai fait appel à tous les gens que je fréquente depuis des années, en plus de Renaud Létang à la réalisation. Seul Philippe Katerine n’a pas pu participer à cause de son agenda.

Aucun artiste français n’aurait osé rassembler des invités aussi différents !

J’ai cherché à exprimer l’univers de Chilly Gonzales qu’on connait et qui réunit la chanson cheesy, la musique classique, l’électro, le rap… Je suis très fier du casting et du fait que quand je mentionne un musicien, celui-ci apparaisse. Quand le nom de Juliette Armanet m’est venu dans le texte de « Piano à Paris », il était évident de lui demander de chanter. Elle a accepté après avoir écouté la chanson. Tout a paru facile. Tout s’est fait naturellement, sans que je sois pour une fois dans le stress. Quant à évoquer Charles Aznavour, j’avais travaillé avec lui en 2003. Ce sont des histoires vraies que je peux raconter, j’aurais pu faire une douzaine de couplets mais je me suis arrêté là.

Comment obtiens-tu une œuvre cohérente malgré le grand nombre d’invités ?

S’il y a bien un truc que j’ai appris en donnant des centaines de concerts par an depuis vingt ans, c’est comment raconter une histoire qui peut contenir tous mes centres d’intérêts musicaux, du rap au piano solo en passant par la pop. J’adore la dramaturgie d’un concert et ça m’aide à construire un album comme celui-là.

À tes débuts, tu t’appelais toi-même le « Worst MC » (le « pire MC »), comment envisageais-tu ta carrière ?

Il fallait que je me trouve avant de réunir tout ce que je savais faire. À mes débuts, j’étais en réaction à moi-même, je cachais mon côté musicien. Je faisais exprès car ce qui m’intéressait était de provoquer. Mon amie la chanteuse Peaches m’encourageait dans cette attitude un peu punk. C’est pour ça que je poussais ce côté performer, parfois même en direction du stand-up. De 2000 à 2005, ce que je faisais correspondait finalement à du « trolling » bien avant les réseaux sociaux, le fait de provoquer une réaction. Je savais qu’il y aurait un jour un moment pour montrer mon projet musical. Une fois que j’aurais l’attention, je surprendrais, et ça s’est fait avec l’album « Piano Solo » en 2004.

Depuis, tu as gardé l’habitude de t’entourer, de collaborer avec plein d’artistes !

C’est difficile, une collaboration ! À chaque fois, c’est une alchimie personnelle qui ne s’obtient pas juste en claquant des doigts. Quand on me propose une collaboration, j’ai besoin d’au moins six mois pour rencontrer la personne plusieurs fois en amont afin de voir si ça colle. Je suis fier de mes collaborations car elles sont toujours le fruit d’une amitié ou d’un respect mutuel, d’une envie ou d’une jalousie de ce que fait l’autre, afin de voir comment il fonctionne. J’adore ainsi passer du temps en studio avec Philippe Katerine, Feist ou Jarvis Cocker, car ils savent faire des trucs que je ne sais pas faire. J’apprends et ça va dans les deux sens.

Quel regard portes-tu sur la musique française ?

En France, et ailleurs aussi, c’est compliqué d’être un artiste rigolo. C’est mal vu. Dans la musique dite sérieuse, on a envie que l’artiste colle à cette image. Or ce sont les clowns tristes qui m’attirent surtout. Des gens rigolos si on les regarde de manière superficielle, mais qui ont une grande profondeur d’âme. Teki Latex, Bonnie Banane, même Sébastien Tellier, ou moi, on nous appelle des trublions… ce sont souvent eux qui sont sous-estimés.

Comment se présente ta tournée ?

Elle est très axée sur « French Kiss » mais je joue aussi tous les classiques instrumentaux, du piano solo… C’est l’album qui alimente le concert et non l’inverse. J’en sors régulièrement pour que le concert puisse évoluer, souffler. Comme dans mes autres concerts, il y aura tout Gonzales ! Pour moi, un concert, c’est une œuvre d’art.

@chillygonzales.com

French Kiss (Gentle Threat / PIAS)

En tournée : La Rochelle (La Sirène) le 22 novembre 2023 : COMPLET

Interview @p4sc4lbertin 

Crédit Photo : DR