Hôpital Au chevet de l’hôpital de Niort

Hôpital
Au chevet de l’hôpital de Niort

La crise du Covid a placé l’hôpital sous les feux des projecteurs. Après les scènes d’applaudissements aux fenêtres des confinés, le temps de l’expression de la souffrance des soignants exsangues est venu. Les pouvoirs publics ont dû répondre aux malaises et dysfonctionnements mis au jour. Trois ans après le démarrage de la pandémie où en est-on ? Les problèmes ont-ils été réglés ? Les différentes primes accordées aux personnels soignants ont-elles calmé les esprits ? De grandes déclarations en « Ségur de la santé », quels changements significatifs ont été opérés dans le monde médical ? Bruno Faulconnier, le directeur des centres hospitaliers de Niort, du Nord Deux-Sèvres et de Mauléon et Farnam Faranpour, le président de la commission médicale d’établissement de Niort, nous éclairent.

« Il s’agit de répondre à une question philosophique plus large. Qu’est-ce qui est important, ce que je fais ou l’endroit où je vis ? » Farnam Faranpour

La crise du Covid semble derrière nous. Dans quel état se trouve l’hôpital après cette période tendue ?


Bruno Faulconnier
:Nous faisons face à une autre crise : le manque de médecins et de personnel paramédical. Nous avons des moyens financiers qui permettraient de recruter mais nous ne trouvons pas suffisamment de candidats. Nous cherchons des infirmiers de bloc opératoire, de psychiatrie…

Farnam Faranpour : La crise sanitaire a agi comme un révélateur. Nous faisons face au manque de sens de notre activité. Mais elle a aussi mis en exergue des défauts d’organisation plus profonds : le nombre absolu de médecins ou de paramédicaux est suffisant mais ils ne sont pas forcément répartis équitablement sur le territoire.

BF : Il faut donc travailler sur l’attractivité de l’hôpital. Et la revalorisation des rémunérations est un des moyens mis en place.

La prime COVID allant de 500 à 1500 euros, le Ségur de la santé qui a permis une augmentation de la rémunération, notamment sous la forme de diverses primes pérennes accordées aux soignants…N’aurait-il pas mieux fallu tout mettre dans un pot commun pour recréer un budget ? Les mesures vous paraissent-elles adaptées à la situation ?

BF : Il fallait sans doute revoir les rémunérations pour rendre l’hôpital plus attractif. Mais on est en plein paradoxe. On parle de crise mais on n’a jamais autant dépensé à l’hôpital. En 2010 il y avait 300 personnes de moins dans ce centre hospitalier. En 1985, la santé correspondait à 8 % du PIB, aujourd’hui elle représente 12 % d’un PIB plus élevé. On ferme des lits car on manque de personnel. Ce n’est pas parce qu’on manque d’argent que l’on manque de personnel. On a fait un excédant l’année dernière, on aurait pu recruter. Les pouvoirs publics sont en train d’augmenter le nombre d’élèves dans les écoles d’infirmiers et d’aides-soignants, de l’ordre de 20 % dans les futures promotions. Nous n’aurons pas les résultats tout de suite.

FF : Je pense que les primes sont arrivées en retard, ce rattrapage n’est pas suffisant. Des efforts ont été faits mais il faut les concentrer où il y a les besoins. Les praticiens préfèrent quitter le salariat de l’hôpital et faire des remplacements bien mieux payés. La nouvelle loi Rist va chercher à mettre fin aux excès de l’intérim médical.

« Ici, pour que l’osmose soit plus grande, j’ai souhaité que le président de CME participe à l’équipe de direction. Je considère qu’il n’y a aucun dossier auquel il ne puisse avoir accès. »

Bruno Faulconnier

Où passent les 19 milliards d’aides alloués par le gouvernement ? Certains soignants disent ne pas voir d’effet sur le terrain. Cette aide sert-elle uniquement à rembourser la dette comme on l’entend dire ?

BF : Les hôpitaux ont été destinataires de crédits pour acheter du matériel sans devoir trop emprunter.Ici, nous avons investi 17 millions d’euros et nous avons reçu une enveloppe supplémentaire pour l’achat du petit matériel (appareil à tension,…).

Vous augmentez les salaires ? vous vous dotez en matériel ? Mais alors, où sont les freins ? Qu’est ce qui empêche les jeunes de venir travailler à l’hôpital public de Niort ? Que proposez-vous pour trouver plus de personnel ?

BF : Sur le plan local, nous sommes liés à l’attractivité de notre ville et de notre territoire : nous recrutons beaucoup mais, dans certains secteurs, nous avons encore plus de départs que d’arrivées. Sur le plan national, je pense qu’il faut une meilleure gestion des besoins en spécialités au niveau de la formation initiale des médecins. Il faut plus de candidats retenus en 1re année d’études de médecine. Il faut aussi être à la pointe de la technologie. Ainsi nous avons acquis un robot chirurgical en 2022 et de jeunes chirurgiens se sont positionnés sur Niort grâce à cela. On a aussi mis en place des bourses d’études pour les infirmiers qui acceptent de s’engager pendant deux ans chez nous. Mais au-delà de tout ça, il faut remettre du sens. L’hôpital public, c’est être au service de son prochain au nom de la collectivité.

FF : Il s’agit de répondre à une question philosophique plus large. Qu’est-ce qui est important, ce que je fais ou l’endroit où je vis ? Aujourd’hui, notre société a pour principale valeur le bien-être (lieu de vie, pas de travail de nuit ou de weekend) au détriment du travail et du sens qu’on lui donne. Au niveau national, il faut davantage reconnaitre la pénibilité du travail nocturne ou de weekend. Et cela passe par la rémunération pour aider à l’attractivité. Localement, dans notre établissement nous cherchons à améliorer la qualité de vie au travail. Les soignants doivent sentir que les dirigeants sont à leur écoute, que l’on propose des formations.

Mais c’est également un souci de reconnaissance, non ?

FF : Bien sûr, les gens ont aussi besoin de reconnaissance, qu’on leur dise qu’ils font bien leur travail. Mais lorsque tout va vite, et que vous êtes obligés de faire sortir les malades tous les 3-4 jours, ça met une pression avec, parfois, des difficultés à éprouver de la satisfaction sur le travail effectué.

Pour revenir sur l’administration d’une telle entreprise, il existe une certaine lenteur entre la prise de décision et l’impact sur le terrain. Celle-ci peut-elle expliquer une certaine usure de la part du personnel ?

BF : oui, vous avez raison, même si les choses se sont beaucoup améliorées. L’hôpital fait maintenant preuve de souplesse.

FF : oui, et nous cherchons à déléguer des tâches aux pôles. En effet, dans l’hôpital, il y a 11 pôles regroupant des services (ex : pôle mère enfant, regroupant la gynécologie, la maternité et la pédiatrie). En leur laissant plus d’autonomie dans leur choix de matériel, par exemple, nous permettons une plus grande implication du personnel.

Vous deux travaillez en bonne intelligence, mais comment améliorer la communication entre corps administratif et corps médical ? Comment sensibiliser chaque corps de métier aux spécificités de l’autre ?

BF : Un directeur d’hôpital fait une école spécifique de santé publique avec des stages dans les services hospitaliers afin d’en connaitre les fonctionnements.

FF : Les médecins ont demandé à participer davantage à la gouvernance des hôpitaux. Des formations spécifiques sont prévues pour les chefs de pôles sur les finances, sur les RH, les financements possibles. Certains présidents de CME ont même accédé au poste de directeur. Mais personnellement, je pense qu’il faut plus miser sur la complémentarité de nos visions.

BF : Ici, pour que l’osmose soit plus grande, j’ai souhaité que le président de CME participe à l’équipe de direction. Je considère qu’il n’y a aucun dossier auquel il ne puisse avoir accès.

Je suis aussi directeur des établissements de Bressuire, Thouars, Parthenay … Je me partage. Ce qui n’empêche pas d’avoir assisté à des opérations, au bloc, avec le nouveau robot. Il ne faut pas croire qu’on est muré l’un et l’autre. On partage étroitement le projet stratégique d’investissement, les problèmes financiers…

« Nous sommes très attachés à travailler avec la médecine de ville. Nous collaborons avec la communauté professionnelle territoriale de santé, tous les libéraux. »

Bruno Faulconnier

Tant mieux si ça se passe bien au niveau local. Cela dit, les hôpitaux sont chapeautés par les agences régionales de santé qui supervisent le pilotage.  Est-il possible de mener des actions spécifiques sur son territoire ? Faut-il rendre des comptes ?

BF : Selon la représentation, nous serions pris dans un étau sans pouvoir rien faire ? L’établissement est en partie autonome. Un exemple : ici en Deux-Sèvres, on s’est particulièrement intéressé aux personnes souffrant de déficience intellectuelle. On a imaginé un dispositif appelé Handi-santé, on a investi dans des locaux, monté une équipe, un projet partagé entre médecin et direction. C’est un dispositif qui n’existe pas ailleurs. Nous avons exposé notre projet, L’ARS nous a laissé faire et nous aide.

Autre exemple : nous sommes très attachés à travailler avec la médecine de ville. Nous collaborons avec la communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS), tous les libéraux. Dans notre Groupement Hospitalier de Territoire on a introduit des choses qui n’existent pas dans la réglementation. On aimerait même devenir un Groupement de Santé de Territoire.

Mais alors beaucoup de choses se font. Pourquoi ne pas communiquer davantage ?

FF : Montrer que l’on est un hôpital qui bouge peut participer à son attractivité. A nous de mieux communiquer sur ce que l’on fait, que ce soit vers l’extérieur et même vers notre personnel. Il se passe beaucoup de choses mais c’est peu connu : la transformation de l’hôpital de jour oncologique, la création d’un service supplémentaire de neurologie, plus de chambres à 1 lit en SSR,..

On entend beaucoup les urgentistes se plaindre car ils réceptionnent les malades et ne peuvent les envoyer dans les services par manque de places. Pourquoi ferme-t-on des lits alors que les capacités d’accueil sont insuffisantes ? Où sont les dysfonctionnements ?

FF : Les urgences sont le reflet des difficultés de la santé. C’est l’endroit du « non programmé ». Elles reflètent les difficultés d’organisation de soin que l’on trouve en amont, du côté de la médecine générale. Ici, on a moins de médecins libéraux qu’ailleurs. Les gens n’ont pas d’autres solutions que de venir aux urgences donc on palie. En aval, il y a la difficulté à recruter des soignants avec des fermetures de lits subies. Mais il y a également le problème de « l’aval de l’aval » par manque de place en SSR afin de permettre de libérer des places en médecine aigue. Nous devons travailler la gestion de parcours du patient, de la médecine libérale au SSR en passant par les urgences et un service de court séjour.

Par rapport à votre mode de rémunération, vous avez intérêt à ce que les patients « tournent ». N’est-ce pas préjudiciable à une bonne prise en charge ?

BF : Nous sommes rémunérés au nombre de séjours. On sait qu’il y a un optimum du nombre de jours pour telle ou telle pathologie. Si le délai est allongé, c’est mauvais financièrement pour l’établissement mais c’est mauvais également en terme de santé car nous n’allons pas pouvoir répondre aux besoins et accueillir de nouveaux patients. Il faut un turn-over. Le fonctionnement de l’hôpital est très complexe. Des centaines de process sont appliqués. Nous avons plus de 2500 prix différents. Ce n’est pas l’ARS qui nous paie. Nous allons chercher notre argent comme la clinique. Nous avons des modes de financement au séjour, à la dotation, au forfait… Il y a des avantages et des inconvénients dans chaque dispositif.

FF : Il faut améliorer la fluidité des parcours. On ne peut plus travailler tout seul. Il y a 20 ans, un hôpital pouvait s’occuper de tout lui-même. Dans la gestion des parcours on doit parler de territoire, dans une logique populationnelle.

BF : La vision qu’on avait hier : je suis malade, j’entre à l’hôpital, on règle mon problème, je sors, comme chez le garagiste, n’est plus applicable. Aujourd’hui, la plupart des patients qu’on prend en charge souffrent de pathologie chronique. Il y a un continuum de soins entre le médecin traitant, un séjour en établissement privé, une prise en charge à l’hôpital. On travaille des parcours de soins. C’est plus complexe, il n’y a pas de process standard.

FF : La coopération avec le privé n’est pas parfaite, tout le monde n’est pas encore prêt à envisager cette vision globale et partagée autour du patient.

L’ouverture plus large du numerus clausus ne risque-t-elle pas de diminuer le niveau, les qualités attendues d’un futur médecin ?

BF : Non, je ne crois pas. L’augmentation du nombre de places n’est pas si conséquente que ça. La question est surtout celle de la répartition des médecins sur le territoire.

Les études de médecine sont en partie payées par la collectivité. Ne pourrait-on pas demander un service minimum en retour comme dans l’enseignement pour pallier le manque de soignants ?

FF : Je suis d’accord. Au-delà d’augmenter le nombre de praticiens par l’ouverture du Numérus Clausus, il faut absolument réguler l’installation des médecins libéraux et pouvoir proposer que certains s’installent obligatoirement sur un secteur en besoin pendant quelques temps. Mais plus globalement, il faut rendre les territoires attractifs pour que les médecins restent.

Alors, on fait quoi ? On recrute des médecins à diplôme étranger ?

FF : Il y a de très bons médecins étrangers chez nous. Mais pour qu’ils aient le droit d’exercer, c’est une usine à gaz. On pourrait simplifier cela. Plutôt que de faire des commissions nationales, on pourrait demander l’avis des médecins avec lesquels ils travaillent tous les jours afin de valider leurs diplômes.

Pour les médecins issus de l’Europe, leurs diplômes sont européens et ils peuvent exercer d’emblée en France sans formation complémentaire, d’où parfois des sensations de différence de compétence. On devrait pouvoir proposer des formations complémentaires si besoin quand ils arrivent en France et faciliter leur installation. Nous pouvons et devons  tous travailler ensemble pour le bien du patient !

Interview @ch_taker

Texte @karlduquesnoy

Photo @lambertdavis